Comme beaucoup de musicien.ne.s depuis mars 2020, Ben Shemie est un naufragé, échoué sur une île déserte sur laquelle il pensait ne passer que quelques jours: la vie quotidienne. Pour ne pas devenir complètement fou et envoyer quelques signaux au monde extérieur, le canadien a composé dans son appartement parisien ce 303 Diary en forme de mirage (puisque, comme il le raconte dans son communiqué de presse, il ne s’agit pas d’un journal intime et qu’il n’a pas été enregistré avec la trop coûteuse TB-303).
En pause de l’odyssée Suuns, « The band that would be king » (pour citer le documentaire sur un autre groupe indispensable), Ben Shemie se présente avec une économie de moyens assez désarmante quand on se rappelle les dernières apparitions du groupe électro-rock canadien, pas loin de remporter la mise dans la catégorie musique cérébrale de stade. Sur ses deux premiers albums solos parus chez Hands In the Dark, où il apparaissait orphelin volontaire de sa guitare, le musicien rappelait parfois le Neil Young de Trans ou les fresques les plus barrées de Todd Rundgren. Sur ce nouveau projet, il plonge plus volontairement dans la musique électronique, citant Aphex Twin et l’acid des débuts comme démarcations de son nouveau terrain de jeu.
Si l’accrocheur Upside Down évoque en effet les « Ambient Works » de Daddy James, il s’en éloigne grâce à un chant ébahi que l’on prend comme une main tendue. Sur ce disque, on a souvent l’impression que Lou Barlow s’est faufilé dans le studio de Kraftwerk pour jouer avec les boutons. Car s’il sort sur un label encarté « musique expérimentale », ce 303 Diary est loin d’être un délire nombriliste de studio. Shemie se revendique avant tout comme guitariste et on pense davantage à Pink Floyd, Spectrum ou les figures tutélaires du Kraut Rock qu’à n’importe quel adepte de « gear porn » qui se serait malheureusement piqué de faire « un disque de confinement ». Des morceaux comme Hurts So Real ou Didem (qui invite la musicienne Didem Başar et son kanun –un cithare traditionnelle/ndr) respirent les grands espaces et on aurait presque du mal à croire qu’ils ont été écrits entre les quatre murs en carton d’un appartement parisien.
Ben Shemie est un personnage hors norme, qui avance à pas de loups dans l’écriture d’une pop music bizarre et assez hypnotisante. Ce 303 Diary est une étape de plus dans ses expérimentations qui ne perdent jamais de vue l’intérêt premier de la musique: être partagé. Une idée précieuse par les temps qui courent. Et qui vaut certainement mieux que de parler à un ballon de volley ou à une session Ableton.