« Et tu fais quoi dans la vie ? Je fais des musiques de films porno »

photo: Cédric Hanak

J’ai quelques principes dans la vie. Parmi eux, il y a le fait de ne jamais écrire sur les gens que je connais bien, sachant que la notion d’ami ou pote peut vite devenir glissante quand on passe six soirs par semaine dans des lieux de perdition. Désormais rangé des voitures, je n’en garde pas moins cette règle de travail, y compris quand je tiens ce site. Ceci étant dit, je fais une sorte d’entorse avec l’article que vous vous apprêtez à lire et ce pour plusieurs raisons. D’abord, JB Hanak n’a jamais été mon pote, mais plutôt une figure que je croisais lors de mes soirées de perditions et qui imitait régulièrement un célèbre acteur américain des années 90 en VF quand il me voyait (ce qui a forcément contribué à créer un lien). Ensuite, parce que c’est la seule personne qui m’a insulté de “connard Michel Leeb” au milieu d’une nuit parce que je n’avais pas répondu à son message m’annonçant qu’il m’avait fait dédicacer une photo du doubleur français de ce célèbre acteur américain en question. Enfin, parce qu’il a fini par m’offrir la dite photo,  et qu’il a écrit probablement un des trucs qui m’a fait le plus rire (parfois peur) cette année que vous avez peut-être lu ici. (Ceci étant dit, ne pensez pas qu’être inventif en m’insultant vous aidera dans la vie hein). 

Je referme la boîte noire (comme on dirait chez certains médias encore de gauche) pour ouvrir le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Après l’ultime album de dDamage (que j’ai chroniqué dans Les Inrocks il y a quelques mois), JB est sur plusieurs fronts et pas des moindres. Des B.O. ,  d’abord, dont une pour le film Une Dernière Fois, premier long métrage de Olympe de G. (diffusé en juin dernier sur Canal +) et doublement mis en avant pour son engagement de film pornographique féministe et par la présence de la légende du genre, Brigitte Lahaie (dont c’est le premier film porno-érotique depuis 1995). Ensuite avec des travaux solos et un nouveau projet collaboratif avec l’acteur Pierre Richard (oui oui, celui auquel vous pensez) et l’écrivaine Ingrid Astier. De quoi forcément me donner envie d’échanger avec lui, dans l’ancien Bar Ourcq, un de ces fameux endroits de feu ma vie de noctambule. La boucle est bouclée, ce qui tombe plutôt bien parce que c’est aussi le sujet de Une Dernière Fois, auquel JB et ses collaborateurs Cédric Hanak et Zoé Wolf offrent une bande originale sobre et émouvante, quelque part entre library music un brin inquiète et pop mélancolique.

Brigitte Lahaie ne devait pas jouer dans le film. J’avais demandé à Olympe de la contacter pour qu’elle chante sur la BO  (c’est finalement Zoé de Konki Duet qui assure le thème). Par hasard, Olympe a été invité  à une émission de radio avec elle et elle se sont rencontrées comme ça. Brigitte Lahaie a sorti un 45 tours, comme à peu près toutes les personnalités en France dans les 80’s mais elle a détesté l’expérience et ne veut plus chanter.  Olympe lui a fait lire le scénario et c’est comme ça qu’elle a accepté de jouer dans le film. 

 

 

Tu avais une idée de départ ou une ligne directrice en commençant à bosser sur cette B.O.?

Je crois que c’est le truc le plus axé sur des synthés que j’ai fait de toute ma carrière: piano électrique, orgue, clavecin. J’avais une sorte de fantasme de bourgeois futuriste, châtelain de l’espace. J’ai beaucoup travaillé avec mon petit frère Cédric, qui a un côté virtuose que je n’ai pas. Je lui ai dit “tu vois les androïdes sur les pochettes de Rondo Veneziano? Je voudrais qu’ils fassent une partouze”. Ce sont les disques qui me faisaient rêver à Carrefour quand j’avais 8 ans. 

Il y a une recherche de classicisme sur la BO, plus que dans tes autres projets.

On a écouté énormément de musique classique pour s’inspirer: Brahms, Beethoven, Mozart. Avec dDamage, on s’est toujours battu contre le diktat du dancefloor (même si on a fait des morceaux dansants). On s’est noyé dans la musique classique, car on n’y trouve pas de grilles statiques. Quand tu t’attaques à la musique à l’image (porno ou autre), tu n’es plus sous le diktat du binaire, du 4/4. Pour moi, c’est un vent de liberté dingue (même si ça angoisse pas mal de musiciens). 

 

La réalisatrice vous a orienté ou a eu des demandes particulières?

Le seul truc qu’elle m’a demandé, c’est une chanson. Sinon, elle m’a laissé carte blanche. C’était bizarre car je n’ai jamais fait de chanson en français de ma vie. Mais je lui ai promis de le faire. Mais sinon pas d’amputation de la jambe de la part des producteurs comme ça a pu m’arriver sur d’autres films. J’ai fini par devenir parano à cause de mauvaises expériences. L’ingée son de ‘Une Dernière Fois’ m’a demandé mes parties séparées et ça m’a fait péter les plombs. Sur The Open, le réal était génial mais il y avait très peu de budget. Le film a été mixé en 5 jours en studio. On s’est retrouvé avec …Bon tant que je dis pas son nom, je peux dire du mal de lui…Un musicien frustré qui a utilisé mes stems et qui s’est permis de remixer ma musique sans me le dire. Je m’en suis rendu compte en voyant le film. 

Dans les vieilles BO’s de films pornos rééditées, on entend souvent des choses plutôt dans une veine easy listening. Tu voulais éviter de tomber là dedans?

Je pense qu’il y a de tout dans la musique de film porno. Après, il y a effectivement le fantasme du digger de porno chic, 70’s, italien, français. Dans les années 90, il y avait de la techno dans les films pornos. Je ne suis pas sûr de voir où tu veux aller…

Je fais peut-être le journaliste mais le film semble plus complexe que le film porno habituel et toi tu fais une musique envisagée comme plus classique ou intemporelle. Est-ce que tu vois une forme de paradoxe là dedans?

C’est une coïncidence. Laissons le porno  de côté un instant. Depuis deux ou trois ans,  j’estime avoir dit quelque chose. Et je l’ai dit avec mon grand frère. J’avais envie de m’exprimer différemment, moins dans la violence. Je suis attiré depuis quelques temps par des choses plus douces. Mon système nerveux a besoin de calme, de poésie. J’avais déjà fait une BO pour Olympe qui amorçait ça. Je prépare un 45 tours solo qui sonnera shoegaze/ambient. Et puis en novembre, il y a mon album avec Ingrid Astier et Pierre Richard qui sort et qui sera très doux aussi. Peut-être que tu me retrouveras à crier sur des larsens dans quelques années ceci dit. Mais pour revenir au porno, ‘Une Dernière Fois’ est  un film qui lutte contre l’intolérance au travers du cul. Pour moi, en tant que musicien c’est confortable d’accompagner ça. 

Tu peux me parler de cette collaboration avec Pierre Richard?

C’est Ingrid Astier qui est à l’initiative du projet. On avait envie de mettre ses textes en musique, déjà avec mon frère. Mais elle voulait un comédien. Et puis, un jour elle m’a appelé et m’a dit “j’ai trouvé un ami à moi qui est ok. Est-ce que ça t’intéresserait de travailler avec le comédien Pierre Richard?”. Je suis tombé de ma chaise évidemment. Ça a d’abord commencé par des concerts en impro (moi à la guitare et lui à la voix). Ça a pris du temps car il est très occupé mais ON L’A FAIT. C’est un album très poétique sur l’univers nocturne.  

Et lui il avait déjà fait un album?

Evidemment un 45 tours, dans les années 1980!

 

CINQ B.O. QUI ONT MARQUE JB HANAK

 

The Thing (Ennio Morricone)
Ennio Morricone s’inspire de l’orchestration électronique de John Carpenter, à un tel point qu’il en sublime son modèle. Il fait une relecture très fidèle d’un point de vue formel et totalement personnelle dans l’émancipation d’écriture et de compo. Sur ce dernier point, le morceau « Humanity part 2″ débute de manière épurée et totalement minimale, pour basculer soudainement (à 04’27 ») sur une montée symphonique mégalomane et apocalyptique. Dans le film, les quatre premières minutes du morceaux sont beaucoup utilisées, mais pas la fin. John Carpenter a refusé d’utiliser ce passage. On a carrément un pied de nez sur le générique de fin du film où ce morceau est utilisé une énième fois, pour être coupé par un fondu super brutal juste avant la fameuse montée symphonique. Un peu comme si Carpenter avait été vexé qu’on puisse le surpasser dans son propre style : agacé face à tant de génie, il finit par couper le volume.
Tron (Wendy Carlos)
Je n’ai jamais compris pourquoi Wendy Carlos était avant tout connue pour la B.O. de Orange Mécanique. Vraiment, pour moi son chef d’oeuvre c’est la B.O. de Tron. On est en 82, toutes les recherches d’adaptation de Bach et de Beethoveen au synthé Moog sont derrière elle et bien digérées. Elle passe à la compo, c’est gavé de synthés assez sauvages et l’orchestration est appuyée par le Philharmonique de Londres. Il y a un aspect super touchant dans cette musique, quelque chose de rétro-futuriste incertain ; cette espèce de manie d’illustrer musicalement la thématique alors nébuleuse de « l’ordinateur » en faisant partir plein de sons de synthés qui font « bidibidibop ». C’est naïf et en même temps souligné par une orchestration classique, avec un Choeur, qui apporte un contrebalancement dramatique. Du coup ça crée une ambiguïté très forte qui me fascine depuis que je suis gamin.
Akira Symphonic Suite (Geinoh Yamashirogumi)
C’est la B.O. que j’ai le plus écouté de ma vie et je ne m’en lasserai jamais. Nous sommes sur une fusion parfaite entre la musique traditionnelle japonaise et les procédés technologiques de musique modernes les plus poussés de l’époque. J’ai toujours considéré cette musique comme l’ouverture d’une porte spatio temporelle vers le futur. C’est ma première ouverture à cette philosophie très japonaise consistant à allier tradition et modernité, une approche artistique qui continue à me hanter aujourd’hui ; et dont je me nourris en me rendant régulièrement au Japon. Cette B.O. est le second volet d’une trilogie. Et pour ceux qui la connaissent déjà, je ne peux que conseiller d’écouter les deux autres parties « Echophony Gaia » et « Echophonie Riinne ».
Crash (Howard Shore)
J’étais déjà complètement dingue des B.O. de Horward Shore pour Cronenberg avant la sortie de Crash. Mais là, on passe à un niveau de narration musicale quasi paranormal. L’emploi des guitares dissonantes synthétise tout le propos du film, le point de rencontre ambivalent entre le sexe et la mort, l’orgasme et la déchirure de la chair par la tôle métallique. C’est tout l’inverse d’une B.O. de film érotique et pourtant, en accompagnant les images, ça va tellement loin que ça traverse le pont des extrêmes pour en devenir complètement sexuel. J’aime beaucoup écouter ce disque pour des longs trajets en voiture, la nuit.
James Brown (Black Caesar)
C’est pour moi la pierre angulaire absolue des B.O. de Blaxploitation, le zénith du genre. Un répertoire hallucinant de passages samplés pour enfanter des classiques éternels du hip-hop (putain, la guitare de Das EFX). James Brown avec les JB’s dans une config funk-rock ultra efficace. Fred Wesley super nerveux à la trompette. Lyn Collins enragée et sauvage qui chante à la perfection. Une B.O. qui transpire l’odeur du New-York de l’époque. D’Urville Martin qui transperce l’écran et qui enchaînera sur la réalisation de Dolemite. Le disque est parfait de A à Z ; et il est tellement spontané qu’il écrit une page de l’Histoire sans vraiment s’en rendre compte. 
Le B.O. de Une Dernière Fois sera éditée en vinyle en 2021 par Parigo Music, Diggers Factory  & Kidam.
Le DVD de Une Dernière Fois sortira fin 2020 chez Les Films du Culte.
ADRIEN DURAND
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