Quand je travaille sur les papiers du Gospel, je me demande souvent si je ne suis pas devenu ce nerd horriblement nostalgique qui écrit sur ses idoles adolescentes dans son sous sol pendant que la vie normale se déroule à la surface. J’ai donc eu des sueurs froides en regardant dans un avion le film Juliet Naked (tiré d’un bouquin de Hornby) qui raconte l’histoire d’un prof de ciné obsédé par un musicien reclus ayant sorti un album culte dans les années 1990. Campé par Ethan Hawke, le chanteur refait surface au gré d’un invraisemblable imbroglio marivaudesque à la sauce indie pour les blancs. Spoiler de ce film pas terrible: Ethan Hawke incarne un double cinématographique d’Evan Dando, tête pensante, et seul membre permanent des Lemonheads, qui pour beaucoup de spécialistes du rock US est à Nirvana ce que Ride est à My Bloody Valentine (ok je suis un putain de nerd).
Dans notre entourage, il y avait toujours ce mec qui gravissait les échelons sans qu’on comprenne par quel miracle. A l’école, il avait ses examens sans réviser. En général, il sortait toujours avec la plus belle fille du lycée et tout le monde l’aimait bien. Si le rock alternatif des années 90 était un lycée, ce mec serait Evan Dando. Affublé d’un physique de beau gosse typique de ces années là (une maman mannequin ça aide), le musicien est passé pour le “poster boy” du grunge tout au long de sa carrière. Seulement voilà, en 2020, il est toujours là, alors que la plupart de ses anciens collègues sont morts ou définitivement rincés. A 52 ans, il continue de se droguer, remplir bon an mal an des salles de concerts peuplées de vingtenaires nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pas vécu (c’est le nouveau slogan de Dior je crois). Fort comme un homme, beau comme un enfant, comme l’aurait chanté Dalida.
Evan Dando, pendant les années grunge, s’est pourtant trimballé de sérieuses casseroles. Sa beauté d’abord, qui si l’on en croit la presse de l’époque en faisait un musicien moins crédible (chacun ses problèmes certes). Et surtout une relation pour le moins trouble avec Courtney Love. Dando fait son apparition sur les tabloïds du monde entier quelques semaines après le suicide de Kurt Cobain, en roulant des pelles à la chanteuse de Hole provoquant cris d’orfraie et indignations un peu partout, alors que, déjà, on soupçonnait la veuve Cobain de ne pas être fidèle à son mari suicidé et christique (j’ai déjà évoqué combien le fait de faire passer Love pour une salope a pu arranger bon nombre de gens dans la deuxième moitié des années 90). A cette époque, Dando avait déjà profité, comme la grande majorité des groupes à guitares de cette époque, de la mise en orbite du rock à guitares de Nirvana en signant un deal avec Atlantic après trois albums pop punk efficaces (et il faut bien le rappeler très proche des Replacements). Ce petit scandale le fit passer à la postérité dans la mémoire collective.
The Lemonheads, groupe qui compta pas moins de 40 membres différents depuis ses débuts (dont la section rythmique des Descendents en 2005), réussit rapidement à se démarquer des sonorités grunge trop typiques des premières années de la décennie 90, piquant ses influences dans une large culture classic rock. C’est probablement à celle ci que le groupe doit son plus gros tube, une reprise pataude du Mrs Robinson de Simon & Garfunkel qui habilla une bonne partie des teen movies des années 90 et 2000 et ancra définitivement Dando dans l’imaginaire lycéen. « Forever Young » (et heureusement le physique a suivi).
Le groupe fut brillant le temps de trois albums: Lovey, It’s a Shame About Ray et Come On Feel The Lemonheads, sortis entre 1990 et 1993 (Car Button Cloth comporte également de nombreux moments de bravoure). Fasciné par la figure de Gram Parsons, autre Adonis du rock auto-sacrifié, Dando injecte dans le punk bubble gum de son projet des sonorités country et folk qui à l’époque lui permettent à la fois de passer largement en radios et de se démarquer du mal être de ses cousins de Seattle. Beaucoup plus proche musicalement de Sebadoh et Dinosaur Jr. (avec qui il partage un certain amour pour les solos heavy metal), The Lemonheads a gravé dans le marbre une ironie typique de la fameuses Generation X, ce qui explique probablement la pérennité de son leader, cité régulièrement au cours du temps que cela soit par Kimya Dawson ou Brett Easton Ellis.
C’est aux côtés d’une autre amante, Julianna Hatfield, qu’il écrit ses meilleurs morceaux (Rudderless par exemple), avant de traverser un désert créatif relatif au début des années 2000. On connaît l’histoire par coeur désormais. A la faveur d’une redécouverte liée à l’explosion d’Internet, The Lemonheads est revenu en grâce par l’entremise miraculeuse d’une production qui n’a pas pris une ride (faites le test avec les premiers albums de Pavement, le résultat va vous étonner). Désormais installé à Martha’s Vineyard, après un détour par l’Australie, l’ancien “prom king” grunge a fait oublier ses coucheries avec Courtney Love et sort des albums de covers qui enchantent toute une génération composées de gamins qu’il aurait pu concevoir dans un backstage crasseux d’une salle de concert. Les derniers seront les premiers? Rien n’est moins sûr mais dans ce cas précis, ils sont toujours vivants. Plutôt en forme. Et toujours pas sobres.
ADRIEN DURAND
Cet article est tiré du zine papier #6 Le Gospel consacré aux « petites histoires du punk rock »
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