Le 1er juillet 2012, mon très cher ami Alex Morris est mort d’une crise cardiaque foudroyante. J’étais anéanti. Je vais essayer d’être bref, mais je pourrais écrire tant de choses sur lui. Certaines nuits, pendant que je faisais mon deuil, je conduisais à travers Oakland en parlant à voix haute comme s’il pouvait m’entendre. Ce que j’extériorisais le plus étaient des coups de gueule sur la ville que j’aimais et des histoires tristes à propos d’autres personnes que j’avais perdues. Quand je rentrais chez moi, je les écrivais. C’est ce qui a construit une base pour les longs monologues confus du narrateur, et a formé les premières esquisses du livre, bien avant que j’aie une intrigue. Ta vie dans un trou noir lui est dédié.
Rater le dernier concert de Op Ivy
Si vous aviez une machine à remonter dans le temps, à quel concert ou événement aimeriez-vous assister ? Ce livre est beaucoup inspiré par le fait que j’aie raté ce concert de mai 1989. J’ai emménagé dans la région de la Baie de San Francisco en août 1989, et ai appris que le groupe s’était séparé et que j’avais raté l’un des concerts punks les plus légendaires de l’histoire de la région. À l’époque, je récoltais toutes mes infos punks dans les pages de Maximum Rocknroll, donc le temps que l’information ait été imprimée, il était trop tard. Cet évènement a toujours été sur ma liste des « concerts machine à remonter dans le temps. » Plus tard, je suis devenu ami avec beaucoup de gens qui y ont assisté. J’adorerais remonter dans le temps non seulement pour voir le groupe, mais aussi pour retrouver mes amis dans le public, jeunes, pleins d’espoir et de rêves punks.
Hunt’s Donuts
Beaucoup de choses que j’aimais de San Francisco ont disparu. De nombreux lieux, des squats aux espaces de vie dans des entrepôts, en passant par les punk houses se sont volatilisés alors que les quartiers devenaient plus riches. J’ai essayé d’incorporer autant de vrais endroits que j’aimais dans le livre.
Un de ces lieux était Hunt’s Donuts. C’était un endroit tellement étrange. Erica Dawn Lyle, une musicienne et membre de nombreux groupes dont Bikini Kill a écrit cet essai à propos de l’établissement (traduit en partie dans le deuxième numéro de la revue Demain les flammes-ndr) Sur l’extérieur du bâtiment, il était inscrit « Ouvert 25 Heures. » Beaucoup plaisantaient à ce sujet. Un jour, j’ai écrit dans le vers d’un poème que lorsque la 25ème heure sonnait, on pouvait apercevoir le passé au travers d’un trou de donut. Je n’arrêtais pas d’imaginer cette boutique dans la perspective d’une histoire de voyage dans le temps – comme si elle était l’axe sur lequel reposait l’équilibre entre l’espace et le temps.
D’autres auteur.ices
Ta vie dans un trou noir se déroule en majorité dans le Mission District de San Francisco. De nombreux livres ont été écrits sur ce quartier en particulier. Je pourrais énumérer des dizaines d’auteur.ices que j’y ai rencontré.es quand j’y vivais et qui m’ont grandement influencé. Je ne vais en sélectionner que trois qui ont un lien direct avec le livre.
Quand j’ai rencontré Peter Plate, il performait des pièces de spoken word entre différents groupes lors de concerts punks. J’ai trouvé que c’était la chose la plus cool que j’avais jamais vu. Il mémorisait des pages entières de ses propres romans. J’ai lu la plupart de ses livres, mais certains d’entre eux comme Black Wheel of Anger ont inspiré ma voix plus que les autres. Dans Angels of Catastrophe, un meurtre est commis devant Hunt’s Donuts dès la première page.
Erica Dawn Lyle, mentionnée précédemment, a écrit un livre intitulé On The Lower Frequencies. Nous habitions tous les deux dans le quartier au même moment, et je la croisais souvent à Hunt’s. C’est le meilleur livre à propos de cette période à San Francisco. J’ai voulu écrire un récit de fiction à sa hauteur – cet ouvrage m’a fixé un cap.
Michelle Tea a écrit un roman intitulé Valencia, nommé après une rue dans laquelle nous avons tous les deux passé beaucoup de temps. Nous nous sommes rencontré.es dans un bar sur Valencia Street lors d’une lecture de poésie il y a trente ans, et sommes toujours de très bons ami.es. À l’époque, je ne faisais que de la poésie. Elle m’a inspiré à écrire de la fiction basée sur ma vie et mes propres expériences. Sans le savoir, nous avons tous les deux produit des romans étranges aux titres similaires. Son livre Black Wave est un de mes préférés.
Science-fiction
La balade de city – John Shirley, JC Lattès, 1982
C’est peut-être le premier livre cyberpunk. Je l’ai adoré. Il se déroule dans le Tenderloin, où l’autre moitié de mon roman a lieu. C’est encore aujourd’hui le quartier le plus bizarre que j’aie pu visiter. Il existe une édition avec une préface de William Gibson qui porte sur l’importance du livre pour le sous-genre.
Destroying Angel – Richard Paul Russo
Dans le Tenderloin du futur de Russo, le quartier est encerclé par des murs de la même manière que le film New York 1997 enserre la ville de New York. Dans un des immeubles, une cantatrice, probablement retenue prisonnière, chante des airs tristes qui résonnent à travers le quartier. Cette image me hante depuis trente ans.
Le Dieu venu du Centaure – Philip K. Dick, éditions OPTA, 1964
Il y a deux drogues fictives dans ce livre : D-Liss et K-Priss. L’une d’elles transporte le narrateur à travers l’espace et le temps contre son gré. Ça m’a vraiment fait réfléchir sur toutes les possibilités de drogues fictives, et ce qui pourrait se passer si l’on se retrouve shooté à une drogue qui fait voyager dans le temps. Toutes les œuvres de Dick sont importantes pour moi. J’aurais tout aussi bien pu ajouter Substance mort (Folio SF, 1977) à cette liste.
L’addiction en tant que métaphore du voyage dans le temps
Beaucoup d’addicts ont l’impression d’avoir voyagé dans le temps. Généralement, je faisais des blackouts quand je buvais. Je veux dire par là que mon corps continuait de bouger et de faire des choses alors que je n’en étais pas conscient. Quand je revenais à moi, c’était comme si j’avais voyagé à travers le temps d’un jour à l’autre. J’ai entendu de nombreux alcooliques et toxicomanes exprimer la même chose.
Cinéma
Je regarderais volontiers n’importe quel film de voyage dans le temps. Je les apprécie même quand ils sont stupides. Comment pourrais-je tous les citer ici ? Il y en a trop qui ont influencé cette œuvre. J’hésite à ajouter une catégorie cinéma. Mais s’il le faut, je nommerais alors un réalisateur dont les œuvres m’ont inspiré à créer une très sombre et sale réalité.
J’ai toujours été frappé par l’ensemble des œuvres de David Cronenberg. Je n’ai jamais su à quoi m’attendre, et seulement peu de ses films m’ont évoqué le travail de quelqu’un d’autre. Videodrome, Scanners et eXistenZ font partie de mes préférés. Sa science-fiction est toujours fondée sur quelque chose de terrestre, et utilise des technologies qui semblent être sur le point d’être découvertes. C’est aussi souvent dégoûtant à un certain moment, et donne toujours la sensation d’être dans un cauchemar.
Traduction: Laury Clavel.