Ya Ho Wha 13 : Le culte de la musique

Considérés comme des joyaux rares pour les amateurs de musique psychédélique, plus recherchés encore que certains enregistrements de Charles Manson, les albums de Ya Ho Wha 13 sont des portes vers l’histoire incroyable d’une secte ayant marqué la côte Ouest des Etats-Unis des années 1960/70. Menée par le très charismatique Father Yod, la Source Family a mis au monde une tribu de chevelus éclairés qui ont vécu au rythme effréné de la pleine conscience pendant cinq ans. On les découvre d’abord par leur musique, expérimentale, hypnotique, électrisante, ponctuée de mantras indéchiffrables. Et forcément on veut en apprendre plus, comprendre ce qui a pu provoquer ce déluge sonore.

Cette histoire débute avec un certain Jim Baker, celui qu’on finira par appeler Father Yod puis YaHoWha – un nom sacré ancien pour désigner Dieu. Avant d’être une figure quasi-divine aux yeux d’une centaine de jeunes californiens, il est un restaurateur à succès à Los Angeles. Comme tout gourou qui se respecte, l’histoire de Jim Baker est parsemée de légendes, mythes et approximations. Né en 1922, il aurait abattu neuf avions de chasse japonais lors d’une attaque kamikaze pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il aurait aussi tué deux hommes – étant un expert du jujitsu – et cambriolé quelques banques. Mais c’est après ses rôles de cascadeurs à Hollywood et son activité de body-builder que Jim Baker se passionne pour la nourriture saine, végétarienne et bio. Après The Old World, il ouvre The Source, qui deviendra très vite le restaurant healthy le plus couru de la ville. Quand la France découvre tout juste les bienfaits du chou kale, The Source servait déjà des salades protéinées, des germes luzerne et du jus de betterave à la fin des 60s. Et du beau monde vient y croquer ses vitamines : Steve McQueen, Julie Christie, Warren Beatty, John Lennon et Yoko Ono comptent parmi les habitués. C’est d’ailleurs en poussant la porte du restaurant sur le Sunset Strip que beaucoup d’ados en perte de repères tomberont dans les mailles du filet de l’imposante figure barbue de Father Yod.

Le cinquantenaire galvanise les foules d’un simple geste, d’une simple parole, et chacun de ses mots est bu et digéré d’une traite. Une troupe de disciples se forme autour de lui, d’abord invités à suivre des séances de méditation tôt le matin puis totalement intégrés à la vie marginale de la Source Family. Ensemble ils forment une communauté qui célèbre la Terre, l’amour pur et le plaisir sous toutes ses formes. Car Father Yod trouve du sacré dans tout : le sexe, la marijuana – qu’il appelle la « Sacred Herb », le rock… Affublés de noms exotiques comme Electricity, Djin, Sunflower, Lotus ou Goddess, les membres de la secte abandonnent leur identité mais aussi tous leurs biens matériels et leur vie passée. Une nouvelle figure paternelle régit les moindres moments de leur vie, du matin au soir. 

La musique est une des activités auxquelles s’adonne la famille et devient même un moyen de diffuser plus largement l’Aquarian Exodus, la doctrine New Age du gourou. Plusieurs formations se créent au sein de la maison mais les musiciens les plus doués se retrouvent dans Ya Ho Wha 13, accompagnant la voix chaude et méditative de Father Yod. Ensemble, ils se produisent dans les facs et lycées de la ville, UCLA, CalArts ou Beverly Hills High School. Leurs longs cheveux au vent, robes amples colorées et assurance sans faille leur confèrent un charisme magnétique qui donnent envie aux jeunes étudiants de les rejoindre. Dans le garage de leur manoir, ils installent un studio d’enregistrement où ils passent des jours entiers à expérimenter. Neuf albums sortiront en vinyle à pressage très limité sur leur propre label Higher Key mais plus de soixante enregistrements restent encore inconnus du reste du monde.

C’était avant que l’ex-membre et archiviste de la Source Family, Isis Aquarian, ne les retrouve et les confie à Drag City qui sort un enregistrement inédit en 2009. De quoi entretenir le mystère de ce qu’aurait pu être la vraie discographie du groupe. Parmi les membres de Ya Ho Wha 13, on est surpris de voir figurer Sky Saxon de The Seeds, groupe d’acid rock ayant influencé bon nombre de formations garage et punk des années 1970 et 1980. Saxon se découvre une passion pour la spiritualité en rencontrant Father Yod mais doit quitter The Seeds pour se dévouer totalement à Dieu et à la musique improvisée. Il abandonne sa vie de frontman d’un groupe à l’avenir prometteur sans hésitation et cet extrait d’interview publié dans L.A Records en 2007 est encore une preuve du pouvoir de séduction infaillible du gourou : « Father Yod, à mon avis, était le plus grand chanteur au monde – meilleur qu’Al Jolson, meilleur que les Beatles, meilleur qu’Elvis, meilleur que moi-même ou les Doors ou n’importe qui d’autre. C’était comme un grand magicien qui jouait de la musique avec ses enfants. »

Dans les années 1960/70, les sectes spirituelles poussent comme des champignons aux Etats-Unis mais si l’on se souvient surtout de celles qui ont basculé vers le sordide comme la famille Manson ou celle de Jim Jones, l’aura de la Source Family a quelque chose de différent. C’est en quelque sorte une version plus soft, plus idyllique, de la secte californienne. Sur le papier, tout paraît plutôt appétissant. Une bande de jeunes utopistes qui vivent à moitié nus dans un manoir et qui subviennent à leurs besoins en travaillant à mi-temps dans le resto végétarien de leur gentil guide spirituel. Un quotidien de méditation, d’étude de livres ésotériques et de jam sessions.

Mais la réalité n’est pas si ensoleillée et cette expérience sociale finit quand même par tourner au vinaigre. La question du polyamour, d’abord évitée, devient petit à petit de rigueur mais semble surtout profiter aux hommes de la maison. Et Father Yod le premier. Marié et fidèle à son épouse, il décide du jour au lendemain de se constituer un harem de quatorze femmes. Il passe de figure christique à vieil homme profitant de jeunes filles influençables. Par ailleurs, l’interdiction d’avoir recours à la médecine traditionnelle devient problématique lors d’accouchements et plus tard, lorsque les bambins ne disposent pour se soigner que de quelques plantes magiques. Mais c’est surtout l’extrême méfiance des Etats-Unis à l’égard des sectes à cette époque qui conduira la Source Family à s’exiler à Hawaii. Toute la troupe mène la grande vie dans une maison qui n’est qu’à quelques pâtés de maisons des assassinats de Sharon Tate et des époux La Bianca et cette tragédie entache considérablement l’image que veut véhiculer Father Yod. Chassé de sa demeure idyllique, le noyau dur de la secte fait son baluchon pour l’archipel du Pacifique. C’est très peu de temps après que YaHoWha finit par décéder en faisant une chute de parapente un jour où le vent s’était brusquement arrêté. Une mort presque comique, en tout cas pas à la hauteur de ce qu’il représentait pour toute une communauté de fidèles. Le reste de la famille se délite peu à peu, ayant perdu le ciment de ce qui constituait leurs croyances. Mais certains vivent toujours en accord avec la Source Family, répondant aux noms de Omne, Magus ou Electra, de vieux hippies soixantenaires qui, même s’ils sont aujourd’hui bien intégrés à la société, se souviennent avec tendresse d’une parenthèse suspendue où leur sort résidait entre les mains d’un seul homme.

ALICE BUTTERLIN

Cet article est tiré du zine papier #6 Le Gospel consacré aux gourous, chamans et sorcières.

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