Germs: devenir immortel et puis mourir

« La raison pour laquelle j’ai choisi cette photo de Darby pour l’affiche du film c’est parce que, pour moi, le punk rock était là pour casser les règles. Plus de love songs. Plus de solos de guitare. L’image d’un groupe de rock jusque là, c’était Robert Plant avec une pose langoureuse et un micro. Moi, je voulais l’exact opposé de tout ça. Je voulais qu’on se concentre sur la musique, pas l’attitude. Mais oui, à partir du moment où il est mort, Darby est devenu le sujet central du film, aux yeux des gens. Il symbolisait parfaitement cette scène, cette volonté de casser les barrières. Tellement que ça a fini par le détruire. »

Penelope Spheeris (réalisatrice de The Decline of the Western Civilization) –Vice

Le 7 décembre 1980, Darby Crash, chanteur du groupe punk Germs (ou The Germs) meurt d’une overdose d’héroïne volontaire. Il a formé avec une amie proche un pacte suicidaire. Les deux compagnons s’injectent 400 dollars de drogues. Il ne se réveillera pas. Elle survit. Le lendemain, un déséquilibré du nom de Mark Chapman assassine la plus grande rock star au monde. Le meurtre de John Lennon éclipse totalement la disparition du punk californien. Il passe malgré tout à la postérité tant bien que mal et quarante ans plus tard observateurs de la scène punk, historiens du rock’n roll et fans hardcore se disputent encore autour de cette mort jugée tour à tour romantique, dérisoire ou comme l’a souligné sans tact un magazine américain: “avec un timing pourri”. 

Si l’on se souvient encore en 2020 de ce chanteur punk mort, malheureusement comme beaucoup d’autres, sous l’effet d’une overdose, c’est peut-être d’abord à cause de la carrière de son ancien compère Pat Smear, passé par la dernière mouture de Nirvana puis devenu binôme de Dave Grohl au sein des pas bien glorieux Foo Fighters. Mais surtout car il est devenu plus ou moins volontairement (on y reviendra) une icône du punk voire une image d’Epinal du petit voyou révolté incapable de se tenir, et que sa grâce décadente de condamné à mort est à mille lieux de la triste destinée de la méchante murène millionnaire Johnny Rotten (au hasard).

Darby Crash naît en 1958 sous le nom de Jan Paul Beahm à Los Angeles. Bien loin du glamour hollywoodien, la vie du gamin est déjà assombrie par des événements tragiques qui laissent planer un parfum de mort sur son enfance. Son grand frère est abattu lors d’un deal de drogue, son beau père décède brutalement d’une crise cardiaque et il ne parvient jamais à connaître la vérité sur son père biologique (censément un marin suédois reparti au pays). Elevé par une mère abusive et dépressive, remariée à un vétéran de la guerre de Corée, Paul se retrouve envoyé dans une école alternative pour le moins étrange. A l’Innovative Program School, le petit américain est livré à lui même aux côtés des autres étudiants qui sont censés organiser eux mêmes leurs cours à partir d’une base éducative mélangeant scientologie et thérapie de groupe. Il y fait la rencontre d’un autre “outcast”: Georg Ruthenberg, rapidement rebaptisé Pat Smear. Les deux amis passent le plus clair du temps sous acide et finissent par se faire renvoyer de l’école qui les accuse de manipulation mentale auprès des autres gamins de l’établissement. Crash laisse déjà traîner à sa suite une réputation sulfureuse de sociopathe. Les deux compères forment rapidement le groupe Germs autour de leur amour commun pour la musique de David Bowie, des New York Dolls, Iggy Pop et du punk naissant (Ramones, Clash, Sex Pistols) mais aussi de Zolar X, troupe glam rock déguisée en aliens qui se produit dans les 70’s à Los Angeles.

Le groupe va commencer à écrire sa légende au sein de la toute première vague punk de L.A. à coup de concerts performatifs, violents et chaotiques où la musique n’est qu’un lointain arrière plan à ce qui s’apparente clairement à un appel à l’émeute. Don Bolles (batteur) raconte en ces termes les concerts du groupe au blog Portable Infinite: “c’était juste dingue. Les gens devenaient fous. C’était un rituel chamanique du type ‘survis à ça mec et tu pourras être cool’. Il fallait se laisse complètement aller pour rentrer dedans, laisser de côté son ego. On prenait beaucoup beaucoup d’acide.”

On revoit des images du groupe sur scène notamment dans le documentaire The Decline of the Western Civilization Penelope Spheeris (connue ensuite comme la réalisatrice de Wayne’s World). Crash, drogué jusqu’au yeux tient difficilement debout, au milieu du maelstrom sonore de ses compagnons de scène. Dans une séquence d’interview, se succèdent les témoignages des Germs qui racontent en substance “on a tout essayé: impossible de faire chanter Darby Crash dans le micro”. Le chanteur incarne l’idéal punk, qui se fout des autres, des conventions et de tout savoir faire musical. Hors champ, il est vampirisé par la réalisatrice qui voit dans le jeune musicien une proie de journaliste idéale tant son caractère plutôt doux et son envie de s’épancher sont tout indiqués pour le tournage de ce film qui retrace la scène punk de l’époque. Les concerts des Germs sont tellement violents qu’ils sont interdits par la police. Spheeris pour tourner les séquences de concerts doit louer un hangar et organiser un live privé. Qui dégénère tout de même bien évidemment.

L’unique album des Germs, G.I. est considéré comme un des premiers disques punk hardcore de l’histoire et reste aujourd’hui encore une pierre angulaire du genre. Il est assez fou avec le recul d’imaginer que dans les premières années du punk, l’auto-proclamé “pire groupe du monde” ait pu intéresser une maison de disques. Quoiqu’il en soit Bob Biggs, boss de Slash Records (ça ne vous rappelle rien?) amène au groupe un contrat, du cash et fait rentrer les sales gosses en studio avec Joan Jett comme productrice. Germs et Crash se mettent étonnamment au travail plutôt sérieusement. G.I. est un disque plus profond qu’il n’y paraît. S’il contient tout le lexique du punk west coast, il est aussi l’occasion d’entendre les talents de guitariste de Pat Smear, qui fait des merveilles et offrent une version agressive du rock mélodique des Ramones avec une approche brutale, faisant déjà le lien entre le rock intello de X et les coups de boules de Black Flag. Souvent réduit à son rôle de clown défoncé, Crash, s’il définit un standard plutôt classique du chant punk, se distingue dans l’écriture des paroles. Avec le recul et un peu de données biographiques, on ne peut qu’écouter d’une autre oreille un morceau comme Richie Dagger’s Crime :

“I’m Richie Dagger , I’m young and I’m haggard

The boy that nobody owns, He sits in his corner like a child despised

A crazy sort of cast comes over his eyes, That’s Richie Dagger’s crime

He’s that sort of boy that was never much loved, His idea of fun was society’s grudge

That’s Richie Dagger’s crime”

Le gamin (il a 19 ans pendant l’enregistrement) fait entendre sa voix sur ce disque et, avec elle, celles de tous les laissés pour comptes qui l’entourent. “Les inadaptés ont besoin d’idolâtrer des inadaptés. Ce mouvement c’était des gamins blancs qui voulaient éviter de devenir des adultes blancs. Ils prenaient tous un détour par la culture punk pour gâcher leurs années de jeunesse. Parce qu’ils savaient qu’ils allaient mourir  gros, chauves et cons. “ Glenn Mullen résume parfaitement la situation dans Lexicon Devil: The Fast Times and Short Life of Darby Crash and The Germs. Crash n’est pas là pour faire de vieux os. Il splitte les Germs et fonde rapidement ensuite Darby Crash Band, toujours avec Smear. Il lui propose quelques mois plus tard un concert de reformation, tant les apparitions de leur premier groupe étaient déjà rentrées dans la légende. Il raconte à son ami qu’il projette d’utiliser l’argent pour se suicider. Personne ne croit vraiment Darby Crash, le punk théâtral et manipulateur qui du haut de ses 22 ans raconte à qui veut l’entendre qu’il veut réaliser la prophétie que David Bowie chante dans Five Years (“we’ve got five years, that’s all we’ve got”).

Peu après sa mort, les posters du film The Decline of the Western Civilization s’affichent tout autour des Etats-Unis. On y voit Darby Crash allongé par terre, les yeux fermés. Ce suicide et cette image alimentent la mythologie du punk et son obsession romantique pour la mort, stade ultime de la révolte et de l’insoumission. Pas loin des décès de Ian Curtis et Sid Vicious, celui du leader post adolescent d’un des premiers groupes punk américains cultive cette impossible compromission qui constitue l’essence même du punk rock. Remplacé par un acteur le temps d’une tournée de reformation (celui qui tenait son rôle dans le biopic hollywoodien What we do is secret), Darby Crash laisse planer un mystère sur sa mort. Théâtrale comme chez Kenneth Anger ou nihiliste comme chez Nietzsche (deux des influences avouées du chanteur)? Elle n’en reste pas moins une condition de l’immortalité de ses morceaux empreints de rage post adolescente qui inspireront tant de gens par la suite. Et fixe pour l’éternité l’image de ce sale gosse joufflu, abandonné de tous et incapable de tenir debout, loin du triste club des millionnaires du rock américain qu’il côtoya un jour dans une cuisine sale de Los Angeles dans un fumet de bacon grillé (pour plus d’informations, courez voir  The Decline of the Western Civilization). 

ADRIEN DURAND

Cet article est tiré du zine papier #6 Le Gospel consacré aux « petites histoires du punk rock »

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