Le double maléfique de Willow Rosenberg, la meilleure amie de Buffy

En ce début de saison qui s’annonce particulièrement sombre et brûlant, nous vous proposons un nouveau cycle thématique intitulé  » Un Eté Gothique » sur Le Gospel. Des récits intimes ou personnels, des interviews, disques chinés et des histoires méconnues pour tenter de circonscrire (un peu) l’étiquette gothique et les esthétiques qui gravitent autour de cette étoile noire.

Avec son titre provoquant, érudit et stylisé qui pourrait aussi bien évoquer un festival d’été de Death Metal qu’un parc d’attractions pour exégètes des Frères Grimm,  Doppelgängland  (« Les Deux visages » en français), le 16ème épisode de la troisième saison de Buffy contre les vampires a tout d’un guide pratique pour traverser l’adolescence et se réaliser en épousant son attirance pour les puissances des ténèbres.

Tout le génie de la série créée en 1997 par Joss Whedon est justement de reprendre le fil de ce gothique hollywoodien initié par les Universal Monsters des années 30 et par le rejeton de Disney et de l’expressionnisme allemand Tim Burton, mais en l’expérimentant à la télévision pour un public adolescent et sur une héroïne 100% américaine. Buffy Summers est blonde, sportive, volontaire, intelligente et sociable et son nom évoque à lui seul le soleil de la Californie et toute l’énergie positive de la côte Ouest, tout comme la ville imaginaire de Sunnydale.

Mais cette « vallée ensoleillée » est située sur une Bouche de l’Enfer et au fil des 7 saisons et de 145 épisodes, le monde visible va accueillir sous forme de fictions ou de contes tout un bestiaire venu du dessous : les vampires bien sûr, mais aussi les ogres, les loups-garous, les sorcières, les spectres, les momies, les zombies, les fantômes, etc. Chaque épisode devenant une expérience dont le Buffyverse serait le laboratoire.

Comme certains des meilleurs épisodes de Buffy (souvent réalisés par Whedon lui-même), Doppelgängland  met son héroïne à distance et s’intéresse à un autre personnage : celui de sa meilleure amie Willow (interprétée par Alyson Hannigan), la magicienne, celle qui tout au long de la série étudiera et accumulera les savoirs ancestraux. Mais son prénom poétique (en anglais « le saule ») qui évoque une forme d’harmonie perdue et son nom qui renvoie aux racines millénaires de sa judéité (« Rosenberg »), cachent une personnalité tumultueuse qui se passionne pour la magie noire et recherche en permanence l’équilibre entre le repos de la sagesse et l’ivresse de la fiction. Il n’est donc pas étonnant que le personnage finisse par être confronté à sa schizophrénie sous la figure matricielle du roman gothique : le Doppelgänger.

Apparu au XIXème siècle dans un conte d’Hoffmann (Le Marchand de sable, 1817) mais aussi chez Dostoïevski (Le Double, 1845), Nerval (Aurélia, 1855) ou Füssli (Le Cauchemar, 1871), ce double issu des cauchemars de la raison vient très justement inspirer et tourmenter l’héritage rationaliste du Siècle des Lumières. On le voit très bien dans cet Autoportrait avec la mort qui joue du violon (1872) du peintre suisse Arnold Böcklin où celui-ci est visité par un spectre musicien qui semble lui jouer à l’oreille, l’inspirant et le terrorisant dans un mouvement double. Dans Buffy, la Willow des ténèbres lui propose une alliance avant de lui lécher le visage. Car le Doppelgänger est celui qui « vient deux fois », qui ouvre un deuxième chemin dans l’existence et met l’être face à sa part maudite, le transformant pour toujours. Willow finira d’ailleurs par protéger son double maléfique et la renvoyer dans son univers mais une fois seule dans sa chambre, la magicienne s’ennuie. L’héritage du roman gothique, comme celui de la poésie, consiste à dévoiler un autre monde puis à apprendre à en arpenter la frontière.

Comme l’écrit très justement la psychologue Pascale Molinier, « les personnages de Buffy affrontent constamment l’expérience de laisser venir l’étrange en soi, ils n’en finissent pas de se transfigurer, de perdre et de retrouver leurs contours corporels, leur vie et leur âme, à travers des épreuves qui leur sont imposées ou qu’ils s’imposent pour aller de l’avant » (1). Ainsi, dans l’épisode, le double de Willow apparaît d’abord comme un monstre de plus qui chercherait à prendre sa place et qu’il faut donc détruire mais, comme toujours, la fable whedonienne se révèle plus complexe qu’elle n’y paraît. Car un an avant l’épisode 19 de la saison 4 intitulé  New Moon Rising  dans lequel Willow fera son coming out, son double lui révèle son attirance pour les femmes.

« C’était horrible » dit Willow à Buffy, « je me suis vue en vampire : maléfique, vulgaire, et je crois lesbienne… » La révélation fait son chemin et mutatis mutandis, la vie reprend son cours.

CHARLES BOSSON

(1) in Philoséries Buffy Tueuse de vampires, Journée d’études internationales Cité Internationale Universitaire, 2009 (dir. Sylvie Allouche et Sandra Laugier), Ed. Braguelonne – Essais, Paris, 2014, p.177.

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