Dieu est mort, mais pas Nick Cave

En ce début de saison qui s’annonce particulièrement sombre et brûlant, nous vous proposons un nouveau cycle thématique intitulé  » Un Eté Gothique » sur Le Gospel. Des récits intimes ou personnels, des interviews, disques chinés et des histoires méconnues pour tenter de circonscrire (un peu) l’étiquette gothique et les esthétiques qui gravitent autour de cette étoile noire.

Dans la destinée des rois félins du rock’n roll, ils sont bien peu à pouvoir se prémunir des faux pas artistiques. Même des artistes de la trempe de Lou Reed ou Bob Dylan ont eut leur dose d’égarements… Mais il reste Nick Cave, qui lui, surnage encore en 2020 en dehors des modes et des mauvaises idées. Comme par miracle.

On ne parlera pas ici de miracle par hasard tant la relation obsessionnelle du chanteur australien à la religion et au mysticisme irrigue son oeuvre (musicale mais aussi littéraire). Elle est ces jours ci le sujet d’un essai passionnant L’évangile selon Nick Cave – le Gospel de l’Age du Fer Rouillé qui interroge la présence du divin dans sa musique. Si la littérature ne manque pas sur le chanteur (essais, bios, BD et autres objets du culte plus ou moins réussis), cette nouvelle sortie a au moins réussi le pari de faire considérer sous un angle neuf la destinée et l’oeuvre du chanteur, laissant à sa suite pas mal de nouvelles questions et quelques réponses. 

Son auteur, Arthur-Louis Cingualte, évoque en ces termes la conception de son travail:

Je connaissais déjà Nick Cave depuis un moment et puis je l’ai redécouvert en me plongeant dans Current 93 (il est présent sur l’album ‘All The Little Pretty Horses’). C’est l’artiste qui m’a le plus suivi dont j’aime la façon de naviguer à la fois dans quelque chose d’assez mainstream et d’expérimental. Et puis, il a une manière littéraire. Je ne voulais pas faire un livre sur la musique. Je voulais considérer son oeuvre dans les images qu’elle évoque, dans des tableaux. Visualiser les chansons plutôt que les écouter et les mettre en tension avec des éléments religieux.” 

Comme le concède l’auteur, “quand on s’intéresse à la religion  chez Nick Cave, on se rend vite compte que ce n’est que ça.” Ce qui permet au livre d’éviter l’écueil de l’explication de texte universitaire (même s’il peut se targuer d’une culture théorique riche) ou celui du fan transi devant son idole, c’est une approche hautement personnelle, où l’on sent bien souvent que les interrogations de l’auteur sont assez voisines de celles du chanteur australien.

“Mon rapport à la culture religieuse vient de mes études d’histoire de l’art, pas de ma famille. Je me suis éduqué grâce à la peinture de la Renaissance par exemple, sans le côté église un peu chiant. Pour moi, Nick Cave est comme les vieux bluesmen évoqués par Greil Marcus, un pied dans le tripot, l’autre à l’église. Il parle de Dieu mais d’une façon rock’n roll. Ma relation à la religion évolue avec une maturation assez lente. Travailler sur ce projet c’était aussi une façon de la faire avancer, d’une façon personnelle.”

Une fois le livre refermé , on ne peut s’empêcher de penser que c’est justement cette obsession pour la religion qui a permis à Nick Cave de surnager au dessus de la masse des icônes du rock plus ou moins défraîchies, en atteignant un statut d’intouchable qui flotte au dessus des mortels. Car au fond il joue sur les deux tableaux. D’un côté, il puise dans la religion les contours d’une relation au public qui frise le culte, ce que raconte d’ailleurs Arthur-Louis Cingualte en évoquant les récents concerts messes où le chanteur est porté aux nues par un public plus nombreux que jamais. De l’autre, il trouve dans la Bible une ligne d’inspiration narrative et littéraire dont les thématiques sont sombres et universelles, souvent dures mais qui in fine visent à l’expiation et l’illumination. Ce que le chanteur a notamment réussi à faire après la mort d’un de ses fils, évoqués dans l’album Skeleton Tree et le film relativement “perturbant” (comme le dit l’auteur) qui a suivi en forme de communiqué de presse un peu ballot. 

L’évangile selon Nick Cave – le Gospel de l’Age du Fer Fouillé offre une autre vision d’une oeuvre colossale et toujours aussi indispensable. On se surprend justement à réécouter les disques évoqués par l’auteur avec une approche nouvelle, plus visuelle, plus profonde, qui déconstruit à sa façon notre relation à la figure du chanteur rock. Ce héros que bien souvent on attend de voir chuter après qu’il ait endossé nos péchés et une existence qu’on aurait jamais osé vivre. Cette vie passée par Nick Cave des bas fonds berlinois aux sols jonchés de seringues aux plus hautes sphères de la musique populaire, gravant pour toujours dans nos esprits cette image d’idole divine d’un rock intemporel. Et toujours aussi vital. 

ADRIEN DURANDL’auteur a réalisé cette playlist de morceaux évoqués dans le livre…

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