A la gloire de Dana Scully

 

Le personnage de la célèbre agente du FBI, incarné dans X Files par Gillian Anderson, est une très bonne parabole de notre rapport à l’existence d’une autre réalité, et plus généralement de la quête d’objets culturels fantaisistes à plusieurs niveaux de lecture. 

Le 10 septembre 1993, une héroïne adulte fait son entrée dans la vie des adolescents du monde entier. Elle s’appelle Dana Scully et c’est en la suivant qu’on pénètre dans la saga X Files (à laquelle on adosse le sous titre Aux frontières du réel en français). Une adulte en tailleur pantalon qui pourrait être la prof ou la tante un peu cool des idoles teenagers de ce début de décennie, Dawson’s Creek, Angela 15 ans ou Buffy Contre les vampires (qui sortira elle quelques années plus tard). C’est sa relation avec l’agent outsider Fox Mulder, en charge d’étudier les phénomènes non expliqués pour la célèbre agence, qui fera tout le sel de ce monument de la pop culture du XXème siècle. Une série qui connut certes des hauts et des bas sur le plan créatif (et un épuisement de l’inspiration entraîné par des déclinaisons et retours en chaîne) mais dont le couple iconique défendra l’idée d’une certaine complexité des relations humaines plutôt salvatrice, comparée à celle de (au hasard) Ross et Rachel dans Friends. 

 

Les aliens existent, enfin PEUT-ETRE

Le pilote de la série, logiquement intitulé Nous ne sommes pas seuls, emmène rapidement le duo aux allures de backing band de Robert Palmer époque Addicted To Love dans l’Oregon afin d’enquêter sur un premier phénomène inexpliqué: des morts et disparitions d’adolescents ayant aperçu une lumière blanche, rapidement interprété par Mulder comme des enlèvements par les extra-terrestres. Le décor (le Nord Ouest américain) comme les thèmes narratifs (adolescence, meurtre, secrets cachés par les adultes) de ce premier épisode font, vous l’aurez compris, écho au Twin Peaks de David Lynch. L’occasion pour la série de poser rapidement les bases de son univers, de l’énergie du duo d’agents et de révéler au passage l’origine de l’obsession de Fox pour les aliens: l’enlèvement de sa sœur dont il aurait été témoin. Intelligemment posé sur le fil de notre croyance et de la plausibilité de cette situation (Mulder est un agent surdoué et c’est grâce à l’hypnose, méthode liée à la quête psychanalytique, qu’il fait resurgir sa mémoire refoulée), cette révélation définit les cadres de la série. Les extra-terrestres existent PEUT-ETRE et on va faire des allers et retours permanents dans nos convictions en passant d’un personnage à l’autre. Entre celui qui croit et celle qui doute en s’appuyant sur son rationalisme (Scully a fait des études de médecin avant de s’orienter vers le FBI). 

Cette première saison n’est bien sûr pas seulement centrée sur la personnalité de Mulder et son 13ème épisode, Le Message, est une preuve de la versatilité de la série, capable de s’éloigner de la question ufologique pour laisser place à un storytelling plein d’empathie , qui explique probablement l’attachement puissant des fans à ces deux héros. Dans cet épisode, Scully, qui forme désormais avec Mulder un binôme plutôt fonctionnel , doit affronter le décès de son père. Une figure sombre et autoritaire que l’on devine opposée à ses choix professionnels et qui va lui ré-apparaître par l’entremise d’un phénomène surnaturel. Luther Lee Bogs, un tueur en série arrêté par le passé par Mulder, exige de le voir pour lui révéler des informations sur une affaire de disparition en cours. Seul souci, ses tuyaux apparaissent au serial killer dans des épisodes télépathiques provoqués par une exécution ratée quelques mois plus tôt. Aveuglée par son deuil, Scully perd pied et on assiste alors à un renversement des perspectives. Elle pactise avec le tueur pour tenter de résoudre l’affaire mais surtout communiquer avec son père défunt. C’est Mulder qui s’échinera en permanence à la ramener à la réalité et insister sur la fraude imposée par Bogs. Une jolie pirouette scénaristique qui installe un peu de profondeur dans la relation entre les deux héros mais aussi dans la nôtre à la série. On comprend que c’est principalement à travers les yeux de Dana Scully que nous regardons le monde d’X Files, une démarche plutôt avant-gardiste dans la science-fiction audiovisuelle grand public. Et notre rapport à l’existence d’une vie extra-terrestre devient un prolongement de celui que l’on entretient aux mythologies télévisuelles (une idée proche d’ailleurs du propos de Cinémiracles de Timothée Gérardin).

Mulder et Scully

FBI vs serial killers, un affrontement classique du cinéma et de la télévision américaine, dans lequel s’inscrit ce 13ème épisode (qui fait écho au duel de Hannibal Lecter et Clarice Starling, inspiration revendiquée). C’est d’ailleurs après avoir vu l’interview d’un agent du FBI chargé d’enquêter sur les serial killers chez Larry King que Chris Carter, créateur de la série, eut l’idée de ce couple de héros. C’est également lui qui lutta pour imposer Gillian Anderson dans le rôle de Dana Scully face à une production qui ne la trouvait pas assez glamour (comprendre pas assez blonde). Avec le recul, le duo formé par Mulder le slacker et Scully l’intello déter fait des miracles et va clairement hisser la série hors du panier des habituels récits policiers et de leurs amourettes consacrées.

La nature de la relation sentimentale entretenue par les deux héros de X Files reste un des grands points d’ancrage du culte autour de la série. 20 Minutes retraçait ainsi en 2016, les affrontements entre “noromos” (pour “no romance”, les fans opposés à la réalisation de cet amour potentiel) et les “shippers” (pour “relationshippers”, qui visaient eux l’autre scénario) délayés sur plus de 800 fansites au plus fort du succès de la série dans les années 1990. Sans vous spoiler l’univers entier de ce programme monde, on peut saluer l’intelligence des scénaristes qui laissèrent planer le doute sur la véritable nature de cette relation, donnant ainsi l’impression que le récit se déroulait aussi sans nous, loin des caméras. Un petit supplément d’âme qui change tout mais qui ne nous empêche pas de scruter d’un peu plus près les rapports de force entre figure masculine et féminine dans la série. 

Le père de Scully la surnomme Starbuck, du nom du sous-officier dans Moby Dick et elle explique l’obsession de sa famille pour le roman d’Herman Melville dans la saison 3 de la série. Mulder pourrait apparaître comme un nouveau Captain Achab, obsédé par la quête de la baleine qui lui a pris sa jambe (sa sœur dans le cas de l’agent du FBI). Et Scully tangue en permanence entre une opposition à sa déraison et un engagement total à ses côtés. Elle reste malgré tout une figure rassurante, celle qui le défend et crée autour de lui un espace où il peut exprimer toute son obsession, jusqu’à la disparition et la mort (momentanée). Elle incarne une figure de protection maternante, qui enfante comme par miracle dans un étonnant parallèle biblique. C’est seule qu’elle prendra véritablement son envol. 

X Files est loin d’être une série monotone, cantonnée sur des bases complotistes ou sensationnelles un peu primaires. Je souhaite, 21ème épisode de la saison 7 (et souvent cité comme un des meilleurs), avec son titre français (en VOST aussi) est un savoureux mille feuille composé de plusieurs niveaux de lectures. Ecrit par Vince Gilligan (qu’on a vu ensuite aux manettes de Breaking Bad et Better Call Saul), il met en scène l’apparition d’un djinn caché dans un tapis persan, qui propose de réaliser trois souhaits à celui qui le libère. Incarné par une femme en droite descendance de l’axe Mia Wallace (en vogue dans les 90’s), ce personnage est en prise avec une lassitude extrême face aux désirs sans queue ni tête des hommes qui la libèrent (parmi lesquels on croise Mussolini, dans une séquences très Code Quantum). C’est Mulder qui finira par la libérer de sa malédiction, avant de se serrer avec Scully devant un match de baseball autour d’une bière. Un dénouement à l’image d’une série qui offre un personnage féminin à la personnalité forte, mais pas totalement libéré de la domination masculine.  

A la gloire de Gillian Anderson 

Il y a des musiciens qu’on appelle seulement par leurs prénoms. Et il y a des acteurs qu’on appelle seulement par le nom de leurs personnages. Gillian Anderson ne fait pas partie de cette seconde catégorie. Par miracle? Il serait réducteur de le penser. Son personnage a beau être une véritable icône de la culture pop, Gillian Anderson a su s’en éloigner, sans tomber dans les clichés. Il n’y a que sur son duo avec le groupe irlandais Hal, en 1997 le temps du titre trip hop spacey Extremis, qu’elle semble endosser de nouveau son costume d’égérie des ufologues. 

Après quelques échecs commerciaux dans les années 2000, ce sont des rôles ombrageux qui lui offrent une nouvelle vie. D’abord avec la série britannique The Fall, où elle incarne une flic trouble qui désormais agit sans contrepartie masculine (si ce n’est le tueur qu’elle poursuit). Puis dans la série Hannibal (la boucle est bouclée), où son personnage de psychiatre qui suit Lecter, lors de ce qui fait clairement passer 50 shades of grey pour My Little Pony, installe définitivement Gillian Anderson dans une autre sphère du jeu dramatique télévisuel. 

En 2020, qu’on la retrouve en Margaret Thatcher dans The Crown ou en sexologue amusée dans Sex Education (mais on a pu également la voir jouer Tennessee Williams au théâtre ou écrire des romans), Gillian Anderson incarne une figure de maturité qui a su  s’extirper des clichés de la culture geek. Cela a certainement été rendu possible en partie par X Files, une série innovante et dotée de multiples niveaux de lecture. Mais il fallait probablement de sacrées velléités d’empowerment pour s’extirper de l’ombre du personnage de Dana Scully, dessiné par et pour les hommes, aussi bien intentionnés qu’ils aient pu être. 

ADRIEN DURAND

Spéciale dédicace à Mox Fulder.

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Illustration: Ben Lupus pour Le Gospel

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