Jim Sullivan, le folk singer enlevé par les extra-terrestres

C’est déjà la fin de cette année apocalyptique et nos regards se tournent plus que jamais vers le ciel en quête d’une porte de sortie ou d’un signe de vie. Le moment idéal pour lancer notre série « Les aliens existent » qui explore en cinq épisodes les relations entre musique et vie extra-terrestre.

Il y a dix ans, le label Light in the Attic, spécialisé dans la réédition d’albums injustement méconnus, tire de sa torpeur le premier disque d’un certain Jim Sullivan, dont le destin tragique et les légendes urbaines qui y sont associées en font un auteur-compositeur culte. U.F.O. paraît en 1969 sur Monnie Records – un label inconnu créé pour l’occasion – dans l’indifférence générale. Ni l’éclat discret de ses ballades mélancoliques, ni l’orchestration riche des musiciens du Wrecking Crew ne portent l’album beaucoup plus loin que les bars de Los Angeles, sur le Wilshire Boulevard ou Redondo Beach où Jim a ses habitudes. Avec les dix chansons de U.F.O., récits spirituels folk-rock, un brin psychédéliques, il aurait pu accéder à la gloire mais la vie en a décidé autrement, et la sienne fut de courte durée. C’est sa disparition mystérieuse et inexpliquée un jour de novembre 1975 au Nouveau Mexique, terre de l’affaire Roswell, qui donne à sa carrière une toute autre couleur. Aurait-il fini par rencontrer les soucoupes volantes qu’il décrit dans ses chansons ? 

Le goût de Jim Sullivan pour le paranormal et les sciences occultes est évident, du nom de ce premier album, aux paroles sibyllines qui convoquent spectres, petits hommes verts et désir d’échapper à la réalité. Mais cette attirance pour les forces mystiques n’est pas une rareté à la fin des 60s, c’est même plutôt banal dans la grande époque des hallucinogènes et des gourous spirituels. Sullivan est d’ailleurs un adepte d’Edgar Cayce, célèbre guérisseur et voyant américain dont les prophéties ont largement influencé toute la mouvance New Age des années 1970. Le premier titre de l’album,  Jerome , porte le nom de cette ville fantôme en Arizona, perchée sur le flanc d’une montagne où pullulaient jadis des mines de cuivre et dont il ne reste aujourd’hui que des circuits touristiques pour amateurs de maisons hantées. Une économie de la peur cristallisée par le restaurant Haunted Hamburger où les sandwichs se dégustent en la compagnie d’esprits malveillants.

U.F.O c’est aussi son titre éponyme, pièce de résistance de l’album avec son orchestration raffinée, proche de la musique de film italienne, où Jim Sullivan s’imagine un Jésus Christ débarquant d’un ovni dans un faisceau de lumière. Tout le long de l’album, ses textes illuminés sont étoffés par des musiciens de session de renom – Don Randi, Earl Palmer, Jimmy Bond – que l’on retrouve dans de nombreuses productions de Phil Spector notamment. La batterie est nette, galopante, les envolées de piano semblent caresser les astres et les lignes de basses apportent une rondeur enveloppante. Des morceaux comme le très cinématographique Highways  ou le macabre So Natural  détiennent cette inexplicable qualité qu’ont les grands classiques. Tout est réuni pour en faire un disque universel mais pas lisse pour autant, cultivant l’étrange et l’inexpliqué au cœur de jolies mélodies.

Jim grandit à San Diego, ville baignée du soleil de la côte Ouest. C’est là qu’il achète sa première guitare électrique, une Sears Silvertone avec laquelle il joue dans un petit groupe appelé The Survivors lors de concerts locaux avant de s’installer à Los Angeles avec femme et enfant en quête de célébrité. Trois ans après son arrivée et la sortie de U.F.O., il retente sa chance avec un album éponyme, cette fois-ci édité chez Playboy Records, le label de Hugh Hefner. Un choix assez osé qui ne paye pas, puisque même si Hef est doué en marketing, la musique semble être un domaine qu’il ne maitrise pas et Jim Sullivan demeure un hippie incompris. Toute sa vie, il caresse la surface du succès sans jamais parvenir à y plonger. D’Hollywood il côtoie ses acteurs ratés, fait un passage éclair dans Easy Rider sans même être crédité et finit par noyer sa suite d’échecs cuisants dans l’alcool. Son mariage se délite peu à peu, ne laissant à Jim que la fuite comme porte de sortie pour se reconstruire.

Il prend la route vers l’Est pour rejoindre sa belle sœur à Nashville en faisant un crochet par Santa Rosa, au Nouveau Mexique. C’est là que sa femme entend sa voix pour la dernière fois, d’une cabine téléphonique, puisque le musicien disparaît peu de temps après sans aucune explication. Sa voiture n’atteindra jamais Nashville. Elle est retrouvée dans le parking d’un motel avec tout ce qu’il possède : portefeuille, valise et même sa guitare, l’objet qui lui était le plus cher et dont il était impossible qu’il se sépare volontairement. Traçant des parallèles troublants avec les histoires qu’il déroule dans U.F.O, certains se plaisent à imaginer que Jim Sullivan avait prédit son propre destin. Son rêve de s’évaporer dans l’horizon d’une route déserte ou de se confronter à une vie extraterrestre s’était finalement réalisé. De jolies interprétations, destinées à accompagner l’écoute du disque et renforcer les frissons qu’il procure, mais qui n’occultent pas une réalité sûrement moins poétique. Différentes pistes apparaissent au fil de l’enquête, dont une qui met en cause le ranch des Genetti, une famille soupçonnée d’entretenir des liens avec des mafieux de Chicago, où Jim aurait atterri après s’être imbibé de vodka. Quand son frère Jerry Sullivan se rend à Santa Rosa en quête d’indices, il apprend que le shérif a démissionné, le réceptionniste du motel a rejoint l’armée et les Genetti ont vendu leur ranch et déménagé à Hawaii. Des comportements suspects qui donnent du grain à moudre aux détectives en herbe qui maintiennent la théorie d’un assassinat. L’enquête est, à ce jour, classée sans suite et on ne saura jamais sur quelle planète a fini par atterrir celui qui rêvait de disparaître sans laisser de trace. 

ALICE BUTTERLIN

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Illustration: Ben Lupus pour Le Gospel

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