Hannah Montana : La Kinder Country de Miley Cyrus

Cette semaine, nous consacrons un cycle aux « pop stars » au travers de papiers mêlant visées critiques et récits intimes. Aujourd’hui, Alice Butterlin se penche sur Hannah Montana, personnage développé par Disney, dont la country pop a brouillé les frontières entre fiction et réalité et mis Miley Cyrus en orbite.

Avant de devenir la pop star “féministe” fumeuse de joints que l’on connaît, Miley Cyrus est Hannah Montana, un alter ego en perruque blonde dont la musique rime avec anneau de chasteté, innocence et country diluée au soda orange. Une image créée de toute pièce par le géant Disney pour la série éponyme qui cartonne de 2006 à 2010 chez les pré-adolescentes. Plus qu’un personnage du petit écran, Hannah Montana vend des centaines de milliers de disques dans le monde entier avec ses chansons pop aux mélodies entêtantes et aux messages mignons auxquels les filles peuvent facilement s’identifier. On se souvient du tube Nobody’s Perfect, qui agit comme les pages Public “Les stars sont comme nous” ou Who Said avec ses délicieux riffs rock FM dont les paroles hyper positives rassurent les jeunes sur leur capacité à devenir qui ils veulent s’ils s’en donnent les moyens.

Pendant quatre ans, Hannah Montana reste une image figée et lisse, faite de strass et de paillettes, pendant que l’être qui l’incarne suffoque sous ses mèches synthétiques. Miley Cyrus grandit tranquillement en parallèle de cette grosse machine avant de faire exploser avec fracas la fausse identité qui lui avait été assignée. Comme l’histoire l’a démontré à de nombreuses reprises, les stars biberonnées au lait Disney Channel ne sont que des bombes à retardement, des humains de chair et d’os fatigués de devoir jouer les robots pour l’Amérique puritaine. Certes, Hannah Montana n’était que l’incarnation de la première partie de la carrière de Miley Cyrus, un avatar dont il ne reste que quelques coffrets DVD et vidéos YouTube mais son impact est indéniable sur une certaine génération d’enfants – dont Migos – perfusés à High School Musical et Camp Rock. Aujourd’hui, quinze ans après le début de la série, à une époque où l’authenticité, la transparence et la vulnérabilité des pop stars sont nécessaires pour leur popularité, aurait-elle eu le même succès ? Et finalement, l’image de positivité artificielle d’Hannah Montana est-elle si différente de ce que l’on voit aujourd’hui ? 

Pour ses fans, Hannah Montana est la parfaite poupée grandeur nature, habillée à peu de choses près comme la dernière « Barbie virée shopping » du rayon jouets. C’est l’époque où la vie des pop stars n’est encore qu’un fantasme, faussement dévoilée dans des clichés de soirées scandaleuses ou de promenades en jogging Juicy Couture. Leur santé mentale, velléités féministes ou messages politique ne sont pas encore des sujets abordés – ou du moins ne constituent pas leur carte de visite. Aujourd’hui, l’identité d’une chanteuse comme Dua Lipa ne repose pas seulement sur sa voix ou son look mais sur ses choix de communication et sa capacité à apparaître parfaitement imparfaite. Un idéal auquel on doit s’identifier, une illusion de bonne copine qui ne vous répondra jamais. Si les réseaux sociaux et leur fenêtre ouverte sur la vie des stars se sont accompagnés d’une plus grande recherche d’authenticité, celle que l’on nous sert semble aussi douée d’émotion qu’un poster Fan 2. Et quand on compare les messages de pensée positive édulcorée d’Hannah Montana à certains hymnes de la nouvelle garde de pop stars éclairées, on a du mal à constater une réelle évolution. 

Hannah Montana, l’adorable rockeuse du Tennessee au sourire forcé, n’est pas la seule chanteuse virtuelle à déchainer les passions. En 2007 il y a eu Hastune Miku, avatar à la longue crinière bleue dont la voix n’est que le résultat d’une application de synthèse vocale créée par Crypton Future Media pour Yamaha. Une nouvelle idol japonaise qui sert principalement à vanter les mérites d’un logiciel mais qui devient un petit phénomène, se produisant en concert en image 2D devant des milliers de gens. En 2014, on la retrouve même en première partie de Lady Gaga lors de sa tournée ArtRave : The Artpop Ball. Mais Hannah Montana est un peu plus que des lignes de codes et certains détails l’ancrent tellement dans le réel qu’on s’y perd. Sa vie alternative ressemble à s’y méprendre à celle qui existe sans les caméras. Son père Billy Ray Cyrus joue son propre rôle dans la série, Dolly Parton – sa marraine – joue sa tante et Disney ne s’est même pas embêté à changer le prénom de Miley. Une belle stratégie qui rend impossible la dissociation de l’actrice et de son personnage. Et la raison pour laquelle sa mutation radicale de modèle chrétien pour public conservateur à figure séculière hyper sexualisée a tant choqué. C’est la classique rupture douloureuse avec Disney et ses valeurs trop étouffantes qu’ont vécu Demi Lovato (passée par une addiction à l’héroïne), Selena Gomez (aidée par Harmony Korine) ou Bella Thorne (qui collabore avec PornHub). 

Sans sa perruque et ses habits de lumière, Hannah Montana n’existe pas, elle reprend la forme d’une ado comme les autres – l’acné en moins. Sa vie publique se résume à des concerts où elle s’adonne à des chorégraphies endiablées devant des guitaristes aux allures de frat boys. Elle a le meilleur des deux mondes, la gloire et le succès dans l’anonymat le plus parfait. Mais aurait-elle pu capter le même public aujourd’hui, sans mise-en-scène Tik Tok, sans détailler son régime alimentaire quotidien, seule avec ses power ballads qui ne nécessitent aucune explication ? Quand la télé-réalité devient la forme d’entertainment la plus prisée chez les enfants et que les vlogs remplacent les sitcoms, l’idée d’une chanteuse en carton pâte est obsolète. Les beaux jours de Disney Channel rappellent une ère de télévision lisse, propre, qui n’avait aucune envie de refléter les aspérités du monde réel. Et Hannah Montana était la couverture rose fuchsia dans laquelle on aimait se blottir pour s’adonner à nos rêves futiles. 

Mais Disney Channel n’est pas morte avec le délitement d’Hannah Montana, car quand une vache à lait devient un peu folle, la chaîne n’a aucun mal à en fabriquer d’autres. Et après des séries un peu trop WASP et centrées sur les valeurs de l’Oncle Sam pour plaire au reste du monde, Mickey Mouse descend un peu plus bas, en Amérique du Sud. C’est comme ça qu’on voit défiler une flopée de telenovelas 2.0 comme Violetta ou Soy Luna. Calquées sur le même modèle que les précédentes, les nouvelles idoles squattent les cartables et les stylos des petites filles sans toutefois arriver à la cheville de Miley Cyrus dont l’album le plus vendu reste celui de son double bienfaisant. 

Je me suis demandée pourquoi j’aimais autant la musique d’Hannah Montana, au delà de la nostalgie d’après-midis passées devant Disney Channel à manger des pitchs. Pourquoi des morceaux d’aussi mauvais goût, inaudibles pour la plupart des adultes, me procurent-ils autant de plaisir ? Quel est le secret de fabrication de ces tubes addictifs ? Existe-t-il des suites d’accords magiques protégées par Disney ? Autant de questions qui restent en suspens. Mais s’il y a bien un point en commun entre toutes les productions de la chaîne pendant les années 2000 ce sont les quelques songwriters de l’ombre qui ont façonné la teen-pop scintillante si caractéristique de l’époque. Sans surprise, beaucoup ont un pied dans le rock chrétien et s’appliquent à teinter les chansons d’une belle leçon de morale sous les couches d’orchestration compressée. Finalement, ce qui fait le charme des morceaux d’Hannah Montana c’est leur perfection de spot publicitaire pour yaourts. Le genre de mélodie que l’on reprend en cœur malgré nous, qui colle aux neurones et qui ne s’en va que lorsqu’un nouveau slogan y prend sa place. C’est de la pop violente, répétitive, dénuée de nuance mais si c’est assumé, pourquoi s’en priver ? Hannah Montana restera la madeleine de Proust la plus chimique et industrielle qu’il soit avec pour seule valeur nutritionnelle sa haute dose de sérotonine. 

ALICE BUTTERLIN


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