4500 signes de réflexion: Charles Manson au cinéma

Helter Skelter, Steve Railsback

Lorsqu’il sort de prison en 1967 et s’installe à Los Angeles, Charles Manson a 33 ans. Il découvre le milieu hippie et tente sa chance comme chanteur et compositeur. Mais son échec artistique transforme son charisme et son énergie créatrice en une machine de mort qui conduira aux assassinats tristement célèbres des résidents du 1050 Cielo Drive avec, parmi eux, la jeune actrice Sharon Tate, compagne de Roman Polanski et enceinte de huit mois et demi. Ces meurtres marquent la fin du rêve hippie et Manson quitte définitivement la scène musicale mais rejoint progressivement l’histoire du cinéma par la porte des films d’exploitation avant de faire son chemin dans le cinéma d’auteur pour devenir, cinquante ans après ses meurtres, une des stars de l’année 2019. Retour sur l’émergence  et la construction d’un double cinématographique.

Août 69, un jeune cinéaste de Baltimore et sa muse drag queen s’apprêtent à tourner leur premier film, ils s’appellent John Waters et Divine et ils ont 23 et 24 ans. Ils sont immédiatement interpellés par les assassinats de Cielo Drive car ils se reconnaissent dans les portraits de Tex Watson, Susan Atkins ou Bobby Beausoleil, ces hippies paumés détournés et influencés par un gourou. Dans Multiple Maniacs qui sort en 1970 (un an avant le verdict accusant Manson), Divine déclare que c’est elle qui a assassiné Sharon Tate. L’identification est telle que John Waters défendra tout au long de sa carrière la libération des membres de la « Famille ». Ainsi, avant même de connaître toute la vérité sur les meurtres, la fiction s’est déjà emparée de la réalité.

En 1970, David E. Durston, cinéaste de sexploitation dont les films sont projetés exclusivement dans les drive in s’inspire de la couverture médiatique du procès Manson pour filmer dans I Drink Your Blood l’histoire fictionnelle de Horace Bones, un gourou hippie qui drogue de force ses victimes au LSD avant de les violer et de les assassiner sauvagement. Mais les habitants d’un petit village texan se vengent et inoculent au gourou et à ses disciples le virus de la rage. Les pauvres hippies meurent dans les plus atroces convulsions et s’entredévorent. Après Manson, la joyeuse « hippie exploitation » des années 60 se mélange au cinéma gore. Le contestataire, le freak, le glorieux beatnik loué par Jack Kerouac et Dennis Hopper paie très cher ses idéaux de révolte et de liberté et se fait à son tour maltraiter car il faut à tout prix venger Sharon Tate.

En 1974, le procureur de l’affaire Manson, Vincent Bugliosi publie Helter Skelter dans lequel il offre un récit de première main en « temps réel » des sombres méfaits de la Famille. Le livre deviendra l’œuvre de true crime la plus lue et vendue de l’histoire. Mais malgré son aspect documentaire extrêmement méticuleux, Bugliosi lui-même se laisse aller au fantasme de l’Antéchrist doté de super-pouvoirs dans sa description du gourou : 

« En pleine séance de mise en accusation, je consultai ma montre qui s’était arrêtée. Bizarre. Alors je remarquai que Manson était en train de me regarder fixement, un mince sourire aux lèvres. Mais non, ce ne pouvait être une coïncidence. » (Helter Skelter, La Tuerie de Hollywood de Vincent Bugliosi et Curt Gentry (tr. Isabelle Stoïanov), J’ai Lu, 1993, p.250.)

Cette scène sera reproduite littéralement dans Helter Skelter, l’adaptation du livre en deux épisodes pour la télévision signée Tom Gries en 1976. C’est Steve Railsback, un élève de Lee Strasberg adepte de la méthode de l’Actor’s Studio qui prêtera son incroyable intensité au personnage mais, détail troublant, c’est Martin Scorsese qui fut pressenti en premier pour le rôle après avoir terrifié l’Amérique par son apparition dans Taxi Driver.

Par la suite, les incarnations de Manson au cinéma resteront partagées entre cette aspiration documentaire et sa version fantasmatique comme en témoigne sa double apparition en 2019 dans la série Mindhunter et le film Once Upon A Time In Hollywood, joué par le même acteur Damon Herriman. Chez David Fincher, un Manson plus vrai que nature crève l’écran et frappe par sa petite taille, son accent du sud et l’aspect implacable de son raisonnement : « Toutes les nuits pendant que vous dormez je détruis le monde » écrit-il en dédicace à l’inspecteur Holden Ford sur le livre Helter Skelter. Chez l’auteur de Pulp Fiction, il reste derrière le rideau et apparaît le temps d’une scène unique dans un film qui se présente comme une variation libre sur Helter Skelter. Quentin Tarantino apôtre de la fiction fait dérailler la reconstitution de Bugliosi et conclut son film par un pur hommage à la « hippie exploitation ».

Rejeton dégénéré de la contre culture et du rêve hollywoodien, pour toujours infréquentable avec ses cheveux longs et sa croix gammée sur le front, Charles Manson continue à exercer sur nous son étrange fascination et inspire à la fois le cinéma de genre les plus baroques et les méditations les plus inquiètes sur les idéaux perdus des années 1960.

CHARLES BOSSON

Pour retrouver les vidéos de la série 7 minutes de réflexion, c’est par ici.

Cet article est tiré du zine papier #6 Le Gospel consacré aux gourous, chamans et sorcières.

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