Quitter Paris, est-ce renoncer?

Un jour un de mes meilleurs amis m’a dit « je ne quitterai pas Paris car sinon j’aurais l’impression de baisser les bras et d’avoir perdu ». Je n’ai jamais oublié cette phrase et elle a même résonné d’une drôle de façon quand moi je n’ai plus eu le choix de quitter la ville où j’ai débarqué, à l’aube de la vingtaine, comme un paquet de provinciaux.

Un matin du mois de juin dernier, je me suis réveillé et je me suis dit « ça y est je ne vis plus à Paris ». Est-ce que j’avais renoncé pour autant? Evidemment et à beaucoup de choses. Ma première impression  a étonnamment été celle d’une longue chute qui enfin cessait. J’avais quelques os cassés, quelques coupures, quelques cicatrices, mais j’étais à peu près intact physiquement et psychologiquement. Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années. Effectivement pour (sur)vivre à Paris, il faut plonger la tête la première et gonfler les bras.

En faisant le bilan de seize ans de vie parisienne à travailler dans la culture et la musique , tout en m’imposant une certaine exigence éthique, j’ai réalisé le degré de la violence que je m’étais infligée. L’expression « faire rentrer des ronds dans des carrés » n’a jamais eu autant de sens qu’à propos de cette vie dans des appartements minuscules, à se faire bousculer, à devoir défendre chaque euro et chaque centimètre carré comme si la fin du monde était proche. Et il faut bien l’avouer cette violence a été particulièrement addictive. Parce qu’une fois qu’on est « arrivé », on peut être fier de soi. On est passé du petit péquenaud au centre de l’intérêt d’un microcosme. On devient une « attention whore » comme tout le monde sans s’en rendre compte. On se vautre dans cette façon qu’ont les réseaux sociaux de nous baiser. Et le soir, on rentre un peu bourré en étant persuadé d’être le plus malin, la poche remplie de tickets de cartes bleues.

A Paris tout tourne autour de l’argent évidemment. Quand on évolue dans la musique, la culture et l’Art, mis à part les quelques privilégiés avec une cuillère d’argent dans la bouche, on côtoie tous nos semblables, des enfants de la classe moyenne qui voulaient échapper à un quotidien soit disant pas assez raffiné pour se hisser dans le vrai monde, celui des vernissages, des listes d’invitations, des passe droits et des émotions esthétiques valables. Et qu’importe finalement qu’on essaie de vivre avec un smic dans une ville où le salaire moyen est à 5K et la pinte à 9 euros puisque tout le monde joue la comédie, se paye des tournées, prend des uber et est à découvert le 4 du mois. Une vie de con?

Pas du tout, une vie de conquête. Parce qu’à Paris tout est possible. Et c’est ce qui en fait toute la beauté. On peut devenir qui on veut pour peu qu’on soit prêt à sacrifier un peu  beaucoup de soi. Après quelques années de burn outs, des décès, des séparations, des naissances, une montée en grade dans l’échelle sociale et professionnelle, on peut enfin se dire qu’on a réussi à conquérir Paris. Mais à quel prix?

Je n’arrive plus à me rappeler d’où vient cette idée car je lisais Me Voici de Jonathan Safran Foer à la même période où je regardais la série Big Little Lies (la pop culture est remplie de sagesse). L’un des personnages disait en substance: « l’enfant que vous élevez, celui qui a 4 ans, qui vous aime inconditionnellement et qui dévale l’escalier en criant votre nom,  et bien en grandissant il disparait. Cette personne devient adulte mais l’enfant tel que vous le connaissiez n’existe plus. C’est une véritable disparition dont il faut faire le deuil. »

C’est une image assez forte parce que la personne qu’on est entre 20 et 35 ans, celle qui est prête à tous les sacrifices pour réaliser ses rêves d’adolescents et qui est assez arrogante pour penser qu’elle réussira là où tout le monde s’est planté, cette personne aussi disparait un jour. Exactement le jour où le mur forgé par les erreurs accumulées devient infranchissable et qu’il l’oblige à prendre un autre chemin. C’est peut-être exactement ça qu’il convient d’appeler le passage à l’âge adulte. Mais au fond ça n’a pas beaucoup d’importance.

Cette personne elle n’existe plus en effet et la ville qui l’a forgée n’existe plus, elle non plus. Paris ne sera plus jamais celle que j’ai tant aimé, des concerts de punk hardcore dans des caves, des pelouses de Villette Sonique, des soirées au Baron entre Youri Djorkaeff et Benoit Poelvoorde, des jagger bombs, du voisin qui me fout son poing sur la gueule parce que j’écoute Bob Dylan trop fort, de David Bowie à Bercy, des concerts de Converge tous les mois d’août, des mojitos dégueulasses du Glazart avec Christophe de Kongfuzi et des soirées bières à faire la shitlist de The Drone.

Alors quelque part, oui en quittant Paris je renonce à sa violence et je renonce à faire comme si j’avais encore quelque chose à gagner à me l’infliger. J’accepte aussi que je suis arrivé au bout de ce que j’avais à y faire. Le matin je me réveille dans une ville que je ne connais pas avec mes souvenirs, une petite fille et une femme que j’aime. Et une nouvelle page à écrire.

 

 

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