Quand Bill Murray incarnait Hunter S. Thompson, 18 ans avant Las Vegas Parano

Retour sur le film Where The Buffalo Roam qui 18 ans avant Las Vegas Parano, évoque la relation tumultueuse d’Hunter S. Thompson et son avocat déjanté, avec Bill Murray et Peter Boyle dans les rôles principaux.

Malgré ses pantalonnades actuelles, on ne va pas enlever à Johnny Depp les moments de grâce qui ont parsemé ici et là sa carrière, parmi lesquels on trouve le rôle de Hunter S. Thompson, journaliste fou à lier, inventeur du style gonzo (qui a fait tant d’émules) dans Las Vegas Parano, réalisé par un autre kamikaze, Terry Gilliam en 1998. En 1980, un autre acteur s’était déjà frotté au personnage désormais iconique du Dr Thompson: Bill Murray.

Where The Buffalo Roam, retrace en quelques épisodes bordéliques la relation entre Thompson et son avocat, Oscar Zeta Acosta (surnommé “Buffalo”), pénaliste accroc à de multiples drogues, connu pour avoir défendu régulièrement des marginaux gratuitement avant de rejoindre une quelconque milice armée et de disparaître dans les années 70 (il n’est toujours pas déclaré mort par sa famille). Murray mâchonne son porte de cigarettes, alterne marmonnements et cris d’aliéné tout en enchaînant les verres de Chivas, les Quaaludes et les lignes de cocaïne que l’on soupçonne fortement d’être réels tant la couleur verte de sa peau ne semble pas feinte. Quand on sait que Thompson fut engagé comme consultant sur le film, on imagine assez facilement le climat de fiesta qui devait régner sur place. 

Avec sa réalisation plutôt cheap et une interprétation excessive et souvent surréaliste, cette première adaptation tend plus souvent vers le sketch télévisé que vers le véritable film de cinéma. Si on a reproché à ce long métrage son côté décousu et son manque de profondeur dans l’étude psychologique des personnages, c’est peut-être mal connaître le travail de Thompson qui joue bien souvent sur les mirages entre fiction et documentaire, influence des drogues et pures hallucinations, avec toujours en ligne de mire la possibilité de définitivement péter les plombs et ne plus pouvoir revenir du bon côté du miroir. Une folie narcotique souvent bon enfant qui est bien représentée par une scène du film amusante où Murray/Thompson conduit l’avion qui emmène la presse vers un meeting de Nixon, en chantant à tue tête “Lucy in The Sky With Diamonds” (LSD pour ceux qui dormaient au fond).

Si, certes, ce film a ses défauts, il ne paraît pas inintéressant de le replacer dans son contexte. Murray à l’époque sort tout juste de quelques années au Saturday Night Live et il y a laissé s’exprimer devant la caméra et en coulisses sa personnalité chaotique, tyrannique, pas très éloignée de celle de Thompson, notamment dans ses obsessions pour les drogues, le sexe et la castagne (il fut même accusé par sa première femme de violence conjugale). C’est ce personnage de citadin antipathique qui a pris la grosse tête qui fera d’ailleurs son succès par la suite, dans Ghostbusters bien sûr mais davantage encore dans Groundhog Day, où il campe un présentateur de télévision imbu de lui même et tête à claques. En vieillissant, Murray (surnommé “Murricane”, contraction de son nom et de Hurricane, par ses collaborateurs de la télé) qui sentit peut-être le vent tourner, se métamorphosa peu à peu en gentil Droopy solitaire que ses frasques passées ont (peut-être) laissé sur le carreau. Et grâce à Sofia Coppola ou Wes Anderson, il ne laissera dans la mémoire du grand public que cette image de gentil papy cool des millenials, celui que l’on peut emmener au concert d’Arcade Fire ou voir un match de baseball en buvant des bières.

Where The Buffalo Roam est quelque part une ode à l’insurrection. Pas celle des gentils hippies qui de toute façon ne gagneront pas (à l’image des deux motards de Easy Rider) mais celle des artistes un peu flingués qui grâce à leur succès peuvent se permettre tous les excès. Cette idée est parfaitement incarnée par Murray qui intervient ivre mort dans une université New-Yorkaise et répond à la question “que conseilleriez vous à un jeune écrivain?” “de porter des couleurs vives”. Et cette deadline qui n’est jamais respectée par le journaliste devient un fil conducteur symbolique de son refus d’intégrer le système et de devenir un pion dans une organisation du travail basée sur la rentabilité. 

Revoir ces deux punks arroser à bout portant avec des extincteurs politiciens, journalistes et policiers dans un avion est totalement jouissif à l’ère de Wework et Uber mais soulève aussi la question du manque de limites posées à certains artistes. Thompson pourrait-il être aussi libre de ces faits et gestes dans le monde d’aujourd’hui? On l’imagine très mal. Quant à Bill Murray, il s’apprête à reprendre son rôle dans un nouvel épisode de Ghostbusters et il y a de fortes chances qu’il laisse Murricane au placard avec les lignes de cocaïne, les mains aux fesses et les mandales. Tant mieux ou tant pis. 

A noter que la bande originale du film a été composée par Neil Young et comprend quelques bons moments dont une reprise du classique folk “Home on the range”. 

 

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