Photo: Clément Pelo
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais rater une marche dans la vie est de moins en moins toléré. On a beau nous rebattre à longueur de temps des trucs comme la bienveillance, le respect et la solidarité, c’est un peu chacun pour sa gueule, encore plus qu’avant (yes trop bien le monde d’après).
Comme souvent, le milieu de la musique offre un reflet grossi et un peu monstrueux des ressorts à l’œuvre dans la vie de tous les jours. Si monter un groupe de rock a longtemps été une histoire de chevaliers et de moulins, aujourd’hui il semblerait qu’on soit plus dans la configuration Thelma, Louise, une voiture rouge et un ravin. Ca n’empêche pas certains courageux de continuer de se mettre à nu sur fond de musique électrique jouée à la force de leur autodidactisme, marchant sur une frontière ténue entre le pathos et le pathétique, la fougue (plus ou moins) juvénile et une forme de dépression post post adolescente (oui il y a bien deux fois « post » ici). Rater une marche, un truc qui a longtemps été un mode de vie avant d’être une tare. C’est justement cette époque plus clémente avec les inadaptés (qui a dit losers?) que Pretty Inside semble ramener d’entre les morts sur leur premier album, le bien nommé Grow Up.
Un adulte peut-il chanter “I don’t need you to clean up my room?” (comme sur Clean Up My Room) ? De toute évidence, oui et c’est même plutôt conseillé sur un disque qui parle de la crise existentielle du milieu de la vingtaine, celle qui intervient au moment où on n’a pas trop envie de rejoindre le monde des adultes. Pretty Inside va puiser dans la nostalgie du rock des années 80/90 la même chose que cherchaient leurs aînés dans la défonce, une forme de fuite en avant teintée d’une quête d’épiphanie (qui, spoiler, ne se réalisera jamais). Ce Grow Up est donc perpétuellement traversé à la fois d’une forme de deuil éthylique et d’une colère un peu naïve qui donne un bon coup de pied dans la fourmilière de la musique indie française actuelle, celle des tremplins, des dispositifs d’accompagnement, de Spotify et des « quand est-ce que tu vas grandir et enfin chanter en français? »
Sleep in a cage, petit tube du disque qui sonne comme Guided by Voices avec Alex G au chant, le funeste Go Wrong, l’entêtant Hole In My Head et ses allures de Paisley Underground fini à la 8°6 ou Your Friend For Good et sa production Reatardesque sont quelques-uns des morceaux de bravoure de ce disque truffée d’idées et d’humeurs, d’insouciance et de liberté. Et qui rejoint immédiatement le panthéon des Peter Pan du punk et du DIY, ceux qui rendent le monde un peu meilleur.
Boîte noire (comme on dit sur Mediapart): un des membres du groupe a écrit dans le prochain Gospel mais comme il m’avait envoyé son disque avant qu’on se rencontre, je me permets tout de même d’écrire dessus (ce que je ne fais habituellement pas avec les gens que je connais).