Lire des histoires.
Ecrire des histoires
Ecrire à propos des histoires des autres et de la mienne.
A force, tout s’emmêle, forcément.
J’ai le souvenir d’avoir lu un roman dans lequel un adolescent perdait son frère dans un accident domestique. Il avait traversé la baie vitrée d’une véranda dans le domicile familial à la suite d’une dispute. Il était mort.
J’ai aussi le souvenir d’avoir organisé une fête dans la maison de mes parents en leur absence. Et j’ai le souvenir d’un invité que je n’aimais pas trop qui s’était fracassé, ivre, contre la baie vitrée de la véranda dans la maison de mon enfance. Il n’était pas mort. Et la vitre n’avait pas cédé.
Il y a quelques semaines, j’ai trouvé deux oiseaux morts mais intacts en bas des marches de ma maison à Bordeaux. J’en ai déduit qu’ils s’étaient cognés contre ma fenêtre. Je les ai pris en photo et mis dans deux sacs séparés. J’ai pensé à une sorte de mauvais présage et puis j’ai repensé au roman et au mec à ma fête de lycéen. Il y a des événements qui nous font basculer et d’autres non. Parfois on s’écroule mort. Parfois on se relève en rigolant avec une grosse bosse. C’est impossible à prévoir, et il faut l’accepter.
A bien des égards, les mois qui se sont écoulés ressemblent à la fin de mon adolescence, coincé dans une petite ville, entouré de gens à qui je ne ressemble pas et qui peinent à me comprendre. Je ne peux pas bouger, pas partir. Je suis face à moi même et je m’évade, comme je peux, dans les livres, les films et les disques qui me tombent sous la main. L’horizon est bouché.
Quelqu’un m’a dit “vous êtes un peu triste”. Je ne peux pas lui donner tort. Et ça m’a encore renvoyé des années en arrière. “Pourquoi es tu si triste?”. Après réflexion, je crois que ça me va d’être entouré de ce manteau de mélancolie. Je ris, j’aime, je bois pas mal, je l’avoue, mais quand je suis seul la journée, je suis triste, entouré par chansons et des livres qui font jaillir un peu de lumière dans une fumée noire plus ou moins opaque. Comme si rien n’avait changé de la fin du XXème siècle à 2020. De l’enfance à l’âge adulte, les espoirs et les inquiétudes seraient-ils restés les mêmes?
J’avais posté une vieille photo de Morrissey sur Instagram. Le chanteur avec un gros pull et sa mèche arrogante qui regarde en coin le photographe avec un air moqueur. Une amie m’avait demandé pourquoi il était devenu si odieux et haineux ces dernières années. “C’est dur de continuer à l’aimer”. Une autre chose qui n’a pas changé: je passe beaucoup de temps à imaginer ce que fait à tel ou tel moment un artiste que j’admire. Pourquoi Morrissey parait-il si perdu avec ses badges fascistes et ses albums aux titres gamins…? “Peut-être qu’il n’a pas rencontré l’amour.” C’est ce que j’ai répondu à mon amie. Et cette idée a fait son chemin. Après tout, Morrissey a toujours protégé sa vie amoureuse, raconte dans ses interviews qu’il ne couche avec personne. Il est asexuel. “Et surtout pas homosexuel”. Il n’a pas grandi. Il a un peu grossi mais il est toujours au même stade, probablement. Il dirige sa colère contre les autres, car il n’y a rien de plus triste qu’un quinquagénaire qui joue les dandys mélancoliques.
Je repense à ces images fascinantes de mexicain-américains à Los Angeles aux coiffures gominées et aux carrures épaisses couvertes de tatouages reprenant les paroles de Morrissey. Une rencontre improbable aux yeux des journalistes qui s’empressèrent de faire des analyses socio-culturelles foireuses. Encore une fois j’essaie d’imaginer. Le contraire du journalisme. Est-ce qu’ils cherchaient à s’évader eux aussi, échapper à leurs conditions, leurs communautés, leurs origines? Botter en touche en s’amourachant d’un chanteur anglais des années 1980 quand on est d’origine mexicaine et qu’on vit aux Etats-Unis ça parait être une porte de sortie intéressante.
Je ne les avais pas rencontré en remontant la côte californienne. Mais à la frontière du Mexique, j’avais passé mes doigts au travers d’un grillage qui surplombait Juarez. “La ville la plus dangereuse du monde” avait dit mon hôte. Le soir, on avait joué avec un groupe de christian hardcore. Ils s’étaient agenouillés en priant devant leurs instruments en se prenant les mains. C’était peut-être encore une façon de chercher un ailleurs. Je n’ai pas de tatouage de paroles de Morrissey mais une phrase encrée sur mon bras: “Am I Real?”. Je ne sais plus trop comment ça m’était venu (un tag sur un mur je crois, mais je ne me rappelle pas où). J’aime bien regarder ces mots sur ma peau. Est-ce que je suis réel? En voilà une foutue bonne question. Ou peut-être que je l’adresse à quelqu’un d’autre. Est-ce que tout ça est réel?
J’ai commencé à écouter les Smiths parce que ça semblait le groupe idéal pour moi. J’avais longtemps tourné autour et c’est paradoxalement la découverte de The Organ, un groupe très influencé par eux qui m’a fait plonger dedans. Les mots de Morrissey, sa voix traînante, claquante qui semble balancer sa mélancolie comme des gifles au monde extérieur explique probablement son succès, et sa résonance chez moi au milieu de la vingtaine. “I am not a dog on a chain”. C’est le titre de son dernier album sorti cette année. Je le lis comme une façon, peut-être, de refuser encore et toujours d’être enchaîné à cette image du post adolescent inadapté et malheureux qui chante son mal être dans des chemises trop grandes. Est-ce que moi aussi ma mélancolie va se transformer en fureur débile en vieillissant? Est-ce que la misanthropie qui nourrissait ma créativité va se transformer en haine de l’autre? Peut-être qu’il n’a jamais rencontré l’amour. Je préfère me plonger dans ses vieux morceaux comme un Mexicain à Los Angeles.
Ce texte est issu du recueil Je n’aime que la musique triste rédigé entre décembre 2020 et février 2021 (ce qui explique la date qui y est citée). Il est disponible ici.
ADRIEN DURAND