En 2019, le metal n’a jamais été aussi populaire et rassembleur. Reste-t-il pour autant subversif et créatif, loin des clichés qui lui collent à la peau?
photo: Festival Motocultor par Gaël Mathieu
La démocratisation
Dans Virgin Suicides, un des films les plus réussis sur l’adolescence (adapté du livre de Jeffrey Eugenides par Sofia Coppola), la mère de famille tyrannique décide de brûler un à un les disques de sa fille, coupables désignés de sa rébellion. Les vinyles de Kiss et Aerosmith partent ainsi en fumée. Dès son apparition à la fin des années 60, dans le sillage de groupes pionniers populaires (Led Zeppelin et Black Sabbath en tête), le heavy metal laisse dans les esprits une traînée de scandale, entretenue par des musiciens férus d’ésotérisme et d’un mode de vie pour le moins déluré.
En cette période, libertaire et révolutionnaire, sont définis ainsi les canons de la musique metal, plus sombre et violente que le rock’n roll un peu trop gentillet et hippie pour certains. Près de 50 ans après son apparition, le metal est plus que jamais une esthétique omniprésente. Récupéré à l’envie par les rappeurs (Xxxtentacion qui sample Slipknot ou Lil Uzi Vert qui fait monter Marilyn Manson sur scène), la mode et le cinéma, il a ses stars, ses codes, et un public qui n’a jamais été aussi nombreux et diversifié. A côté des machines gigantesques, il est constitué d’une multitude de sous genres et scènes underground ultra riches qui explorent plus que jamais de nouveaux terrains. Cependant, est-il toujours aussi subversif? En rentrant dans le rang et en se popularisant ne s’est il pas perdu en route? Ou au contraire doit-on se féliciter de cet âge d’or créatif et/ou commercial? Ce sont quelques questions que j’ai posées à différents acteurs et actrices du milieu en France.
Pour commencer, il est évidemment très compliqué de parler de “metal”. Si à l’origine, un seul style de musique (le heavy metal) a pu donner naissance à tout un tas de petits (le Thrash metal beaucoup plus rapide à une extrémité, le doom le plus lent à l’autre bout), l’arrivée d’Internet a explosé les carcans de styles musicaux initialement très codifiés. A côté des groupes plus classiques qui continuent de tourner dans les stades du monde entier (Iron Maiden ou Metallica, ayant rejoint la stature des Rolling Stones ou des Beatles dans la culture populaire), des musiciens plus jeunes ont hybridé toutes les formes du metal depuis les années 80/90. Un mouvement qui s’est accéléré avec la démocratisation des techniques d’enregistrement et évidemment l’accès à tout un pan de musiques initialement plus difficiles d’accès. Cette facilité a été regrettée plus qu’ailleurs par tout un tas d’activistes pour qui la confidentialité des scènes metal de niche correspondait à un style de vie alternatif, des valeurs politiques et sociales étrangères aux masses. C’est notamment le cas du black metal, dont la scène française a été extrêmement bien documentée par le film Bleu, Blanc, Satan produit par mes collègues de Noisey en 2017 et qui raconte en pointillés comment l’arrivée d’Internet a mis en lumière toute une scène musicale qui ne demandait qu’à rester dans l’ombre.
Un nouveau paradigme?
L’exemple d’un groupe comme Deafheaven est ainsi particulièrement représentatif d’un glissement stylistique (et générationnel). Qualifié par ses détracteurs de “metal hipster”, le groupe californien a cristallisé une bonne partie des crispations des puristes du black metal qui goûtent peu leur mélange de shoegaze, post rock et de quelques clins d’oeil stylistiques aux pontes du genre (chant, blast beats). Seul groupe apparenté (au moins de loin) au genre à être soutenu par le média référent de l’indie et de la variété internationale Pitchfork, Deafheaven divise fortement, se créant au passage un public de fans fidèles acquis à leur cause. Et tant pis pour les haters. On pourrait aussi citer un groupe comme Liturgy qui à force de vouloir emprunter à la mythologie du black metal une consistance artistique a fini par se (et nous) perdre dans des méandres conceptuels.
Il faut tout de même reconnaître à ces projets une volonté de défrichage qui va forcément à l’encontre des présupposés d’une scène musicale qui goûtait jusqu’à peu les expérimentations. Les groupes qui réussissent à réunir un public de spécialistes et de curieux sont rares. On pourrait citer par exemple Sunno))) dont les musiciens sont issus de la scène métal traditionnelle et qui séduit autant les puristes que les amateurs de musique indie ou expérimentale.
Avec Sunn O))), on est quand même très loin de Judas Priest, Metallica, Pantera ou Slipknot. Il s’agit d’un groupe conceptuel et expérimental qui cite certes Black Sabbath, Bathory ou Celtic Frost en guise d’influences, mais aussi Earth, Sun Ra, La Monte Young, Terry Riley, Ornette Coleman ou Ash Ra Tempel. Tout de suite, ça présente mieux. Mais je ne pense pas que la majorité des gens et des médias qui se sont intéressés à Sunn O))) ont subitement éprouvé de l’intérêt pour Mercyful Fate ou Morbid Angel m’a raconté Olivier Drago, fondateur et rédacteur en chef de New Noise, magazine papier référent pour les musiques bruyantes et alternatives, qui fête en 2019 son 50ème numéro.
En gravitant simplement autour d’influences ou d’emprunts au metal, les groupes de cette mouvance plus arty (on pourrait aussi citer Chelsea Wolfe ou Oozing Wound pour les plus intéressants d’entre eux), ouvrent de nouveaux chemins créatifs certes mais évoluent la plupart du temps hors des sphères classiques du metal. On les retrouve plus souvent à Beaubourg que sur la grande scène du Hellfest.
Sébastien Bailly qui travaille pour la structure de management Link Prod, gère les carrières d’artistes qui séduisent étonnamment un public metal avec des propositions artistiques avant gardistes et loin des présupposés classiques du genre. Parmi eux, Igorrr, projet du français Gauthier Serre, improbable mélange d’influences death metal, breakcore, black metal et musique baroque peut se targuer d’être capable de jouer sur les plus grands festivals metal, composer une BO pour Bruno Dumont ou se produire au Berghain, le temple de la techno berlinoise. Il est loin d’être un cas isolé. Perturbator (également managé par Sébastien) ou Carpenter Brut (un autre projet français qui joue à guichets fermés, de l’Olympia à Coachella) donnent à entendre une relecture synthétique du metal 80 et séduisent le public metal, peu habitué à se dandiner sur de la club music.
Tous les artistes avec qui nous avons la chance de travailler ont la même démarche ils n’ont pas de frontière entre les styles. Souvent c’est preuve d’une ouverture d’esprit et d’une démarche artistique forte et surtout une volonté de ne pas reproduire ce qui a déjà été fait. Pour moi, en tant que manager, c’est ce qui m’intéresse. Aujourd’hui, qu’un groupe comme Igorrr soit sur le label Metal Blade, remplisse les salles de concert, et joue dans des festivals tels que le Hellfest, Roadburn, Copenhell, Brutal Assault ou Download, avec une musique si exigeante et complexe, dont les influences sont principalement hors du scope metal d’ailleurs, c’est la preuve qu’on est à l’aube d’un nouveau paradigme. Les codes ne sont pas uniquement musicaux, ils viennent également des jeux vidéos, des films. Désormais, on a les moyens d’être curieux et d’aimer des choses, qui avant ne semblaient pas compatibles. Aujourd’hui, plus que jamais, les musiques de niche fédèrent un public.
L’audace artistique rencontrerait un public beaucoup plus ouvert qui permet donc de donner vie à une bulle créative très riche au sein du metal? Olivier Drago tempère ces propos quand on évoque avec lui le succès de Perturbator ou Carpenter Brut
Il s’agit d’un sous-genre de musique électronique avant-tout. Il en ont l’énergie, en tirent une partie de leur imagerie, utilisent des sons distordus et font référence à certains films ou musiques de films d’horreur/science fiction 80s, en général appréciés dans le milieu metal, mais c’est tout. Certains festivals metal ont d’ailleurs hésité un moment avant de programmer Perturbator ou Carpenter Brut. Finalement, les concerts de ces groupes permettent de terminer ce genre d’événement dans une ambiance différente, plus festive, lorsqu’ils y jouent, mais c’est tout.
Le festival qui a changé la donne
Des projets tels que Sunno))), Deafheaven ou Perturbator montrent à quel point toutes les particules de l’atome metal sont diverses aujourd’hui. On peut se réjouir de ce qui ressemble à un âge d’or créatif (et dont quinze article de ce type ne suffiraient pas à lister les projets et disques passionnants parus cette année). La popularisation de ces nouvelles franges et de la culture metal en général est, elle, arrivée ces dernières années par l’entremise de grands festivals dédiés, le Hellfest en tête. Désormais troisième festival français, avec une affluence de 150 000 spectateurs, l’événement qui se déroule chaque année à Clisson, près de Nantes, a largement dépassé le cadre du rassemblement d’initiés. Avec son affiche gargantuesque capable de convier des groupes ultra confidentiels comme les papas du metal (on revient à Kiss et Aerosmith), un accueil exemplaire et une scénographie aux allures de parc d’attractions « designé » par Tim Burton, le Hellfest a rapidement fait des envieux. Mais l’explosion en plein vol du Download Festival, promu par le géant Livenation et qui n’aura pas d’édition cette année (faute de public l’an passé), prouve qu’il ne suffit pas d’aligner les grosses têtes d’affiches pour rencontrer le succès.
Plutôt que d’interroger les organisateurs du Hellfest, j’ai envoyé quelques questions au petit frère du festival référent; le Motocultor qui se déroule depuis 2007 à côté de Vannes et qui sera cette année, en l’absence du Download donc, le deuxième festival metal de France. Yann Le Baraillec, directeur et fondateur du festival m’a raconté la création et l’évolution de son bébé:
Je me suis lancé en 2007 dans l’organisation de la première édition du Motocultor Festival. Ce fut d’abord en salle sur une soirée, puis le projet a évolué rapidement vers un festival en Plein Air (2010) sur 3 jours avec 45 groupes sur deux scènes. A partir de 2013, nous avons réussi à investir le site de Kerboulard de Saint-Nolff qui était l’objectif initial. Depuis 2015, le festival a une troisième scène et accueille plus de 60 groupes. Cette année, nous expérimentons une 4ème journée, plus folk, pagan, celtique et rock progressif où nous programmons notamment le celtic opéra rock « Excalibur » d’Alan Simon, Alan Stivell, Eluveitie et Corvux Corax. En 2007, le festival accueillait 200 personnes pour un budget de 6000€. L’an dernier, nous avons fait complet avec 30 000 entrées (10 000 personnes par jour) avec un budget 1,2 million d’euros.
Cette année, le festival sera l’occasion de voir des projets aussi variés que Marduk, Hatebreed, Magma ou Nofx, reproduisant à une échelle plus petite ce qui a fait le succès du Hellfest, à savoir une affiche très variée qui brasse tous les courants et générations de la musique extrême, le tout dans une ambiance bon enfant d’ouverture musicale. Une approche plus débridée que celle des festivals généralistes et qui séduit un public toujours plus nombreux. Le Motocultor s’est rapidement fait une place dans le paysage culturel français et fait partie des 45 festivals d’été (tous genres confondus) qui rassemblent plus de 15 000 personnes.
Malgré les difficultés financières j’ai toujours estimé que le festival s’était assez rapidement, et profondément ancré comme un acteur essentiel des musiques extrêmes en France. Cette impression a été confirmée par le sold-out de l’an dernier, et nous échangeons aujourd’hui avec plusieurs festivals généralistes en Bretagne, et sommes notamment membres d’une fédération de festivals metal européens permettant une collaboration poussée sur diverses problématiques communes, le tout dans un objectif d’amélioration de ce que l’on pourra proposer au public sur les prochaines éditions explique ainsi Mickaël Marteau, co-programmateur et chargé de production sur le festival.
Le Motocultor est de plus en plus souvent cité par les amateurs comme une alternative à échelle humaine au Hellfest qui aura donc fait beaucoup pour la popularisation récente du metal, pour le meilleur et pour le pire.
Le public du Hellfest a effectivement changé au fur et à mesure que le festival a pu programmer des têtes d’affiches de plus en plus grosses. Une part du public le plus spécialisé, extrême a laissé sa place à des « curieux », sans grande culture metal, juste venus « pour l’ambiance » et voir Europe, Guns ‘n’ Roses, Marilyn Manson ou ZZ-Top. Des gens pour qui Killing In The Name joué par Prophets Of Rage rappelle « vaguement quelque chose » ou qui assistent au concert de Killing Joke en pensant qu’il s’agit de celui d’Alice Cooper, par exemple. Mais devant les scènes spécialisées, le public reste le même. Me raconte ainsi Olivier Drago.
Ce phénomène n’est pas propre au Hellfest et aux festivals de metal. A son échelle, le festival Primavera, ancienne Mecque des fans d’indie rock est devenu une gigantesque foire et a booké cette année Cardi B en tête d’affiche (sous couvert de parité artistique). Ce qui est spécifique au Hellfest, c’est sa capacité à rassembler autant de néophytes malgré une affiche qui peut certes sembler grand public pour l’amateur de black metal expérimental mais qui reste relativement pointue et extrême pour le fan lambda de Lomepal. Ce qui a changé la donne ces dernières années, c’est le traitement médiatique offert au Hellfest, “le seul” qui réussit à faire parler du metal dans les médias généralistes, ce qui est insuffisant.” confirme Yann du Motocultor.
“On nous fait passer pour des Bisounours”
Les médias spécialisés se font de plus en plus rare. Mise à part New Noise (qui traite de genres beaucoup plus larges) donc: “En France, il ne reste plus comme magazines papiers que Rockhard, qui s’adresse à mon avis à un lectorat assez âgé, c’est un peu le « Rock ‘n’ Folk du metal et du hard rock », avec des couvertures généralement consacrées à des groupes « classiques » et/ou « mainstream » (Mötley Crüe, Metallica, AC/DC, Guns ‘n’ Roses, Dream Theater, Rammstein, Slipknot ou Judas Priest) et Metallian qui s’adresse à un lectorat plus branché metal extrême. “
C’est à la télévision aux heures de grande écoute que ce nouveau public de néophytes, qui forme une partie de moins en moins négligeable des ventes de tickets du Hellfest, s’est découvert une passion pour le metal (qui ne s’exprimerait donc que quelques jours dans l’année). Tous les gens que j’ai interrogés se sont plaints du traitement catastrophique fait par le festival (et par extension le metal) dans des émissions françaises, Ex Petit Journal, journaux de M6 et France 3 en tête.
J’ai aucun problème avec les groupes “mainstream”. J’adore Gojira par exemple. Le côté plèbe qui m’énerve, ce sont les gens qui viennent aux concerts de metal parce qu’ils ont regardé Quotidien et qu’ils ont vu des mecs qui montrent leurs culs et qui se déguisent en Pikachu. Au début, on faisait peur “oh c’est des nazis, des satanistes.” Mais la télé a fait passer les fans de metal pour des gros bisounours débiles. Ces gens qui vont au Hellfest restent devant la Main Stage. Ils ne sont pas là pour la musique. On rentre dans une mentalité qui me débecte et qui n’est pas liée au metal m’a expliqué Maxwell, journaliste spécialisé. Le Hellfest sont des gens passionnés que j’apprécie beaucoup mais je ne m’y sens plus forcément très à l’aise car tu retrouves beaucoup de travers des gros festivals comme les Vieilles Charrues. Des mecs qui font chier les meufs, des mecs qui font chier les mecs, très beaufs, des blagues, des déguisements. Ce n’est plus l’ambiance des petits festivals ou du Hellfest des débuts.
Plutôt que s’appesantir sur le traitement dramatique des cultures de niches par la télévision française (“c’est la même chose avec le rap ou les cultures geek” rappelle à raison Maxwell), il semble plus intéressant de se pencher sur l’éclosion de nouveaux médias. Maxwell, toujours lui, est le premier youtubeur metal. Il a créé en 2011 sa chaîne 2 Guys 1 Tv, devenue juste « Maxwell », véritable magazine vidéo qui traite en profondeur toutes les niches du metal avec une variété de formats, souvent interactifs, assez bluffante. Le ton et la forme restent assez similaires à ce qui se fait ailleurs (Maskey au hasard) mais touchent à des niches beaucoup plus confidentielles. Pour compléter ce travail, il a ouvert en 2015, le site Horns Up, lui aussi spécialisé dans le metal extrême.
Il m’a raconté ses débuts et son fonctionnement actuel:
J’ai une courbe d’abonnés très lente. En 8 ans, j’ai à peine 50 000 abonnés. Mais dès qu’on a couvert les festivals (Hellfest, Motocultor), j’ai tout de suite vu l’impact du côté youtubeur avec des gens qui venaient se prendre en photo avec nous. A l’époque on avait moins de 10 000 abonnés. Mais comme c’est un truc de niche, les gens te reconnaissent tout de suite. Dans le milieu metal, la sauce a pris super vite.
Je lui ai demandé si à la différence du “travail” effectué par les équipes de Yann Bartès, il souhaitait s’adresser à un public large ou au contraire rester dans une niche d’initiés. Il m’a répondu:
Sur beaucoup de vidéos c’est super niche, ça ne parlera pas aux gens qui n’ont jamais écouté de metal. Malgré tout, j’essaie via l’humour de représenter les sentiments qu’on ressent en écoutant tel ou tel morceau de metal. J’ai des messages de gens mélomanes qui me disent qu’ils ont aimé une vidéo par exemple. Mais je ne suis pas pour la vulgarisation. Les Tops de groupes vont intéresser un public plus large, parce que c’est plus accrocheur avec plus d’humour. Un épisode qui a bien marché aussi c’est celui sur les fringues dans le metal parce que ça touche un public plus large.
Et cela semble plutôt bien fonctionner, puisque désormais, il vit de ses activités journalistiques grâce “aux dons, au financement participatif via la plateforme Tipeee et aux cachets quand on se déplace en festival.” 2 Guys 1 TV offre la preuve que le public metal, s’il évolue, reste attaché à un fonctionnement de niches. Maxwell se méfie de la popularisation des musiques qu’il défend:
Je préférais quand M6 traitait les metalleux de satanistes. Ca apportait un peu de mysticisme. Le côté subversif reste important. Quand tu découvres le black metal (Emperor, Mayhem) et l’histoire des groupes norvégiens, ça te fait froid dans le dos et ça te procure énormément d’émotion. La musique est incroyable et les histoires super extrêmes. Ils s’entretuent, brûlent des églises, finissent en taule. Il y a une beauté primitive . Tout ce côté là on est en train de le gommer.
Selon lui, il reste bien heureusement encore des groupes défricheurs: “Hallas, un incroyable groupe de rock prog , hard rock ou Hexecutor un groupe de trash metal de Rennes. Sur scène j’ai rarement vu un truc aussi déjanté. “
De la place des femmes dans le paysage metal
Bon an mal an, les lignes du metal bougent artistiquement, commercialement et même médiatiquement. Une chose qui ne change pas c’est que “le public est à 80 % masculin”, comme me l’a rappelé Yann du Motocultor. Du côté des artistes, on peut toutefois se féliciter que les femmes soient de plus en plus nombreuses. Les sorties récentes des disques de Super Unison ou Gouge Away sur le label référence Deathwish ou d’un nouvel album de Brutus sont quelques preuves que désormais la scène metal, punk et hardcore est riche de projets qui dépassent le cliché de la chanteuse brandie comme un objet sexuel par ses musiciens. Kylesa, mené par Laura Pleasants, et puissant alliage de crust punk et de metal sludge a fait partie aussi des formations qui ont changé la donne.
J’ai interrogé à ce sujet Marie Xxme, vidéaste et photographe qui documente les scènes metal, punk et DIY depuis les années 90.
J’ai toujours voulu faire partie intégrante de ce milieu et aider à ce qu’il vive. Je voulais surtout soutenir les plus petits groupes, les plus bruyants et barrés. J’étais hyper motivée je voulais que cette culture soit reconnue. Les groupes qui m’ont marqués et qui ont été essentiels sont Alice Donut, Daisy Chainsaw, The God Machine, Neurosis. Je pense qu’un groupe comme Babes in Toyland dont les musiciennes étaient hyper girlies, parlaient comme des mecs et traitaient de sujets de femmes ça a fait du bien et donné de la confiance en elles à pas mal de nanas qui se sont dit qu’elles pouvaient le faire aussi.
Pourtant dans il y a une grosse vingtaine d’années, le milieu était très dur avec les femmes qui souhaitaient l’intégrer comme le raconte Marie:
J’ai quitté tout ça en 97 entre autres parce que je n’aimais pas être une fille dans ce milieu, j’avais toutes les portes ouvertes mais je n’aimais pas savoir que c’était parce que je plaisais aux mecs plus que pour le travail que je fournissais. J’en ai discuté avec Sera Timms de Blackmath Horseman, Ides of Gemini et plus récemment Black Mare ou avec Laura de Kylesa qui disait qu’ à un moment donné elle se cachait sous des vêtements de mecs pour ne pas avoir l’air girlie. mais c’est carrément, ça tu te dis qu’il faut se faire passer pour un camionneur se fondre dans la masse et gagner en crédibilité, c’est pas normal.
Marie depuis a repris le chemin des concerts, réalisant de nombreuses captations , photographies et deux documentaires (un sur Oxbow et un sur les coulisses de cette scène: Backstage). Elle attribue le fait d’avoir mis son mouchoir sur sa colère à l’âge mais aussi à une certaine évolution des mentalités:
Les femmes se sont bougées. On est plutôt soudé dans cette scène. Même si on ne se connait pas, il y a toujours une sorte de rassemblement. Le nombre de fois où j’ai entendu » ha putain chouette de te rencontrer ça fait plaisir de voir une fille dans ce milieu « . On se soutient au moins entre nous, les filles peuvent être pestes entre elles mais certainement pas ici. On est (hommes et femmes confondues) une grande famille.
L’évolution du metal raconte donc en filigrane celle des cultures de niche dans le monde actuel. Comme beaucoup de mouvements underground, il est régulièrement avalé et régurgité par la société de consommation et les masses qui ne voient que l’infime partie superficielle de son iceberg. C’est dans sa partie submergée que le metal et toutes les scènes auxquelles il est associé continue de surprendre et expérimenter, confirmant une place de choix dans la musique d’aujourd’hui, loin des clichés.
Cet article était initialement prévu pour un média « grand public », la longueur de l’enquête (et le fait que je n’avais pas envie de raccourcir mes propos) fait que je le publie ici aujourd’hui.
Merci à tous ceux qui se sont prêtés au jeu des questions.
New Noise vient de fêter son 15ème anniversaire. Ils sont associés au lancement d’une web radio metal sur FIP ces jours ci.
Marie Xxme expose ses photos de backstage à Paris.
Le Motocultor festival se tiendra du 15 au 18 août 2019.