Un jour, Ryūichi Sakamoto se retrouve coincé dans les bouchons…

L’album BTTB (“Back To The Basics”) du musicien japonais, sorti il y a 20 ans et récemment réédité, donne à reconsidérer son influence sur une nouvelle vague de pianistes pop néo-classiques sans scrupules.

Régulièrement, un geste artistique produit par un musicien  engendre une descendance un poil monstrueuse, qui aura aseptisé et déformé le propos initial par manque d’intelligence et/ou par envie de le simplifier pour en faire une version plus commerciale et accessible. J’ai toujours en tête le groupe de hardcore suédois Refused, désespéré de penser à sa part de responsabilité dans l’émergence du néo metal le plus moche des années 2000. Dans un autre style, on pourrait évidemment songer à toute la vague néo-classique, qui navigue péniblement entre musique synthétique et piano contemporain pétri d’emphase. Qu’ils s’appellent Max Richter, Nils Frahm, Nico Muhly ou Cabaret Contemporain, ils s’appuient tous sur les épaules de Ryūichi  Sakamoto.

La réédition augmentée de son BTTB, 20 ans après sa sortie, offre l’occasion de se pencher sur la face la plus imprégnée de musique classique et contemporaine du musicien japonais. Sous titré Back To The Basics, cet album initialement sorti en 1998, marque le retour de Sakamoto aux origines (sa formation classique) et à une forme de sobriété après Discord, disque orchestral et monumental inspiré par son sentiment de détresse face à la situation politique en Afrique. 

La petite histoire (c’est toujours elle la plus intéressante) raconte qu’un jour à la fin des années 90, le musicien coincé dans les embouteillages eu une idée de mélodie en tête et téléphona chez lui pour l’enregistrer en sifflotant l’air à son répondeur. On est assez loin du pétage de plomb de Michael Douglas dans Chute Libre de Joel Schumacher (qui a lui inspiré J’pète les Plombs de Disiz La Peste). Quoique.

A cette époque, le Japon vit une époque compliquée sur le plan économique, après les années 80 rêvées comme une période d’utopie technologique. Ce sont d’ailleurs celles qui firent de Sakamoto une star avec son groupe synth pop  Yellow Magic Orchestra. Si on ajoute à cela une forme d’angoisse liée au passage à l’an 2000 et le bug apocalyptique qui menace la population mondiale (et qui semble assez risible aujourd’hui), on peut imaginer que l’état d’esprit du musicien au moment de ressortir un disque est baigné à la fois d’une forme d’anxiété et d’une envie de relâchement. 

BTTB est un disque recentré sur la pratique du piano de Sakamoto, musicien classique, dont la formation transparaît à tous les recoins de ces pièces aux formats radio-friendly (4 minutes max) et aux allures d’hommage appuyé à l’oeuvre d’Erik Satie. Ce n’est évidemment pas la seule influence présente ici puisque le disque cherche également son inspiration dans le folklore mondial (le gamelan) et religieux (choral 1 et 2 inspirés par l’interprétation de chants grégoriens). Et s’offre à l’aide de son piano préparé quelques petites incartades dans la musique électronique expérimentale, qui commence à fleurir à l’époque, notamment sur Do Bacteria Sleep, qui trahit l’admiration du japonais pour Oval (dont il ne s’est jamais cachée d’ailleurs). 

Malgré des sonorités au choix arides ou donc épurées, BTTB ressemble à la façon pour Sakamoto de signifier qu’il peut être à la fois un instrumentiste hors pair, un musicien expérimental et un songwriter pop.“Quelque part, je vois ma musique comme un jardin qui a plusieurs styles: contemporain, classique, ethnique et rock’n roll” disait-il il y a dix ans au Gardian.

Il est amusant ici de constater qu’il ne fait pas référence au mot “pop”, dont il a été au cours de sa carrière un des grands agents transformateurs, la faisant muter au gré de ses envies et découvertes. De pop à proprement parler, il n’en est pas question sur BTTB qui s’offre pourtant un hit avec Energy Flow, au succès immense au Japon à sa sortie, il y a un peu plus de 20 ans donc, et dont l’adhésion du public s’explique peut-être par un voisinage certain avec Merry Christmas Mr Lawrence, peut-être son morceau le plus connu à ce jour. 

C’est probablement cet effacement des frontières entre format pop et expression classique qui a marqué aussi profondément les générations suivantes et qui a permis de rassembler deux mondes distincts: celui de la « grande » musique et celui du divertissement populaire, le premier devenant le piédestal de l’autre pour aller toucher quelques sous en plus. 

Le cadre mélodique et narratif  défini sur BTTB a été aisément simplifiable par toute une génération de musiciens peu scrupuleux et capables de comprendre le potentiel commercial d’une musique qui peut aisément se faufiler en habillage d’une série Netflix comme dans un concert philarmonique ou la redescente d’un festival techno. BTTB dont on regrette parfois le sentimentalisme un peu excessif reste un bel exemple de numéro d’équilibriste entre conservatisme, évidence et recherche sonore. Et rien que pour cela, il mérite d’être re-découvert. 

 

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