Everything But The Girl: danse et mélancolie

 

Il y a bien longtemps que je n’ai pas embrassé une bouche avec une haleine de cigarette froide. Il ne reste qu’une sensation pour me rappeler ma jeunesse: l’odeur du CK One. Il suffit que quelqu’un rentre dans une rame de métro (plus souvent de tram ces jours-ci) en portant le parfum cheap de Calvin Klein pour que je me retrouve transporté dans l’Angleterre fantasmée de mes 14 ans. Ces sensations sont souvent associées à un morceau, que je fredonne facilement:  Missing, la ritournelle d’Everything But The Girl.

Comme beaucoup de gens de mon âge, j’ai découvert ce morceau avec le clip puis le remix de Todd Terry (et la version “chopped & screwed” de la même vidéo). J’avais été touché par l’aspect rachitique des musiciens, auquel je m’identifiais peut-être. Je me suis procuré l’album suivant, Walking Wounded, dont la teneur musicale me ferait sûrement sauter au plafond si je la découvrais aujourd’hui. Mais j’ai fini par comprendre ce qui m’y plaisait et fascinait tant. C’était cette façon d’attaquer la club music par un versant extrêmement déprimé. Cette voix pas si loin de celle de Morrissey chantait sur des beats jungle, des orgues crevés, et des gimmicks mollassons de house music (que je ne connaissais pas encore).  L’approche de ce groupe a façonné ma vision de la musique électronique et peu à peu de la fête, de la nuit et de tous les procédés de décompensation.

 

J’ai recherché ce bleu à l’âme synthétique quand j’ai commencé à sortir en club à Paris. Ces pièces sombres ressemblaient souvent à une salle d’attente un peu cauchemardesque. Je ressentais toujours une profonde mélancolie à voir les corps suer, attendre désespérément que quelque chose se passe, comme les deux musiciens d’Everything But The Girl en quelque sorte. La musique que passaient les dj’s dans les clubs où je suis sorti au début des années 2000 n’était jamais triste. Il fallait être joyeux, faire monter les substances. Mais moi c’était le punk hardcore qui me rendait heureux, j’avais envie de me ramollir et penser à la mort en écoutant de la dance music. Quelques années plus tard, j’ai découvert Burial et Zomby, une musique sombre et vaporeuse, basse, breakée. C’était parfait. Mon idéal était atteint. Un soir, en sortant de club et d’une énième déception de mon coeur mélancolique sur une piste de danse, je suis monté dans un taxi. La radio a crachotté doucement Missing. Je n’avais pas pensé à ce groupe depuis très longtemps.

 

Illustration: Ludivine Martin

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