La musique de Matt Jencik est probablement celle qui, actuellement, se rapproche le plus du cinéma de Lynch.Voilà donc une affirmation qui n’a probablement pas beaucoup de sens au moment où “musique lynchienne” est accolée à tout un tas de projets qui justifient ainsi un côté un peu baroque sombre, “en rouge et noir j’exilerai ma peur”, et qui en général hésitent entre mauvais post rock, cabaret piano noise et electronica chiante comme la pluie.
Si l’on pense souvent au cinéma de Lynch en écoutant les disques de Jencik c’est dans un rapport tout particulier à la narration, bien présente dans sa musique ( entre drone synthétique et ambient analogique) mais qui n’hésite pas à nous laisser sans repères au milieu d’une pièce, calfeutrés entre un sentiment de confort et l’impression que nos angoisses les plus profondes sont prêtes à exploser face à nous (je repense en l’écoutant souvent à cette scène incroyable de Mulholland Drive où un monstre surgit derrière un dinner).
Weird Times, sorti en 2017 et “composé uniquement de samples de guitare” (comme me l’a expliqué Jencik par mail), fonctionnait à bien des égards comme un antidépresseur puissant, alternant phases de bien être et montées bruitistes à la limite de l’inconfort mental (mais jamais sonore, ce qui est en soi une forme d’exploit). C’est un disque que j’ai souvent écouté avant de dormir car il accompagne aisément les différentes phases du sommeil. Weird Times est une bande son de l’abandon du corps, quand on se laisse aller à la léthargie tout en gardant une conscience de son être, vulnérable. Quand on y pense, il y a quelque chose de complètement fou et irresponsable à s’endormir dans un lieu public. Ce disque met en musique à merveille cet état suspendu.
Le plus récent Dream Character (dont on saluera une fois de plus la pochette magnifique) est une oeuvre différente mais complémentaire. “Le bruit et le chaos sont aussi importants que les parties ambient dans ma musique” m’expliquait le musicien américain par mail. Loin des robinets d’eau tièdes d’une certaine musique vaguement expérimentale actuelle biberonnée à Brian Eno, l’oeuvre de Jencik est exigeante et ne se conçoit pas sans un dévouement total ou presque à son parcours et son écoute, sans non plus tomber dans les travers arty qui cachent, derrière leur abrasion de façade, un vide créatif intersidéral. A la manière du cinéma de Lynch, on s’y retrouve nourri de repères, de références, de curseurs, mais c’est en acceptant d’en perdre les enjeux habituellement dominants du scénario (résolution d’une quête, identification, assurance narrative, confort) qu’on vit pleinement ce qu’il nous propose.
Une oeuvre bien à part dans ce qu’on rassemble sous l’étiquette un peu fourre tout de drone/ambient actuellement et qui pour une fois célèbre la puissance de l’esprit. Abandonnez vous à la musique de Matt Jencik. C’est en laissant logique et réflexion à l’entrée de ces labyrinthes sonores que vous en trouverez la sortie (ou non), et probablement une forme d’extase, entre ombres et lumière.