Aux Etats-Unis, dans la grande majorité des restaurants et cafés du quotidien, on trouve un écriteau « The World’s best coffee ». Je ne sais pas si vous avez déjà bu ce jus de chaussettes noiratre servi à volonté (mauvais signe) mais c’est tout sauf « le meilleur café du monde ». Comme disait mamie: « café bouillu, café foutu ».
Poser un superlatif sur un café dégueulasse n’est pas tout à fait la même chose que donner un titre racoleur à un article (quoique). Pourtant dans une époque où la majorité des lecteurs ont accès à la presse et aux médias via les réseaux sociaux, le titre (comme la photo) d’un article est souvent le seul hameçon à disposition des journalistes pour espérer attirer (ou racoler) les éventuels lecteurs.
Traditionnellement, dans la presse écrite (et papier), c’est rarement l’auteur d’un article qui choisit le titre et en soi c’est plutôt une bonne chose puisque c’est un regard extérieur à celui qui a conçu le papier qui va venir poser la touche finale et le « vendre ». Parce que OUI donner un titre à un article c’est le vendre. La presse a été complètement phagocytée par le marketing depuis l’avènement du tout numérique et quand on se lance comme rédacteur ou journaliste il faut jouer selon les règles.
Le souci c’est que tomber dans la facilité est extrêmement tentant. C’est ce fameux terme « titre putaclic » lancé comme un crachat par les internautes aux journalistes, généralement suivi par le point Godwin de la presse musicale en ligne (« ça y est les gars font du Vice »). Il est extrêmement difficile (a fortiori quand on n’est pas ou très mal payé) de voir le fruit de son travail journalistique passer complètement inaperçu, en particulier quand on effectue un travail de défrichage, censé soutenir un artiste en développement. C’est cette noble cause en laquelle personnellement je crois et qui me pousse à passer des heures à chercher des nouveaux groupes, écouter les sons qu’on m’envoie et essayer de les faire découvrir au plus grand nombre. En cinq ans de blogging, journalisme plus ou moins amateur et prises de becs diverses, je peux quand même m’enorgueillir d’avoir permis à plusieurs groupes de trouver un label. Et d’avoir reçu une photo dédicacée du doubleur français d’Eddie Murphy (mais ça c’est une autre histoire).
Pour se prémunir d’un bide en ligne, il n’y a pas grande chose de plus efficace que de balancer un titre racoleur. C’est moche mais si on doit retenir deux recettes dans le lancement d’un papier web (qui évoque autre chose que la mort de Prince ou Kim Kardashian) c’est que
- Il faut cliver pour mieux régner.
- Les superlatifs ça marche (même si ton café est dégueulasse)
Mais ça ne va qu’un temps bien sûr. Ecrire quatre lignes pour dire que tel artiste vous donne envie de vomir du sang par les yeux ou pire de voter Macron ne va pas rendre notre monde meilleur. Ca va simplement faire grimper votre « reach » et descendre votre foi en l’humanité. Lancer un papier sur un groupe inconnu en le vantant comme la rencontre de « Mozart, Miles Davis, Roni Size et Jimi Hendrix » ou « le seul bon album de 2018 » est aussi une méthode sale et pas toujours payante. Et là vous risquez de vous retrouver dans la situation du gars qui crie »tout le monde à poil » et qui est le seul à se déshabiller.
C’est là qu’ « hijacker » le système peut être très drôle. Quand en 2017, j’ai lancé un papier sur le disque d’une illustre inconnue (sorti en K7) en le titrant « Une canadienne à moitié aveugle a sorti le meilleur disque de l’été » (une pierre deux coups t’as vu) je ne m’attendais pas vraiment à faire une des meilleures audiences du site à cette période là. Et pourtant, appâtés par mon titre putaclic (assumé), une ribambelle de toqué.e.s du web se sont précipités sur mon post Facebook et se sont insurgés contre cette fameuse discrimination anti malvoyant à laquelle je venais de m’adonner. Et tant pis au fond si Earth Girl Helen Brown n’est pas aveugle et qu’elle a simplement inventé tout ça. Parce que pour le savoir, il aurait fallu lire l’article et ça c’est visiblement au dessus des forces de pas mal de gens. Rappelons nous au passage que lecteurs et consommateurs de la presse ont aussi une responsabilité dans l’évolution de son fond et de sa forme.
Que faire alors? Cultiver l’entresoi et écrire des papiers pour ses 5 potes? Blâmer les algorithmes et l’idiocratie qui est devenue la nôtre? Ou faire au coup par coup en se rappelant qu’on écrit sur la musique et qu’il vaut mieux trouver un peu de plaisir et d’amusement à troller le système ? Parce qu’au fond qu’y a -t-il de mal à poser un écriteau qui vante son café quand on le prépare correctement?