Le cinéma nous fait-il écouter la musique différemment?

Une fois n’est pas coutume, je publie ici l’édito du prochain numéro du zine papier Le Gospel, histoire de teaser un peu sur ce numéro spécial musique et cinéma et de pouvoir s’écharper comme dans les années 2000 sur « la toile ».

Comme pas mal de gamins de mon âge, j’ai eu différents centres d’intérêts avant que la musique ne me cannibalise. Le basket, les jeux vidéos, les jeux de rôles (hum) et finalement le skate vers 13/14 ans. Après une double fracture du poignet qui m’a empêchée de jouer de la guitare pendant plusieurs semaines, j’ai laissé ma planche traîner dans un coin de ma chambre mais j’ai continué de regarder ces vidéos de skate bourrées jusqu’à la gueule de punk rock mélodique. Il était bien rare d’y entendre autre chose que The Adolescents, Satanic Surfers ou The Descendents. C’était une évidence pour tout le monde: skate board = guitares saturées, chant scandé, double pédale.

Et puis quelques mois après le poignet en miettes et la planche aux oubliettes, j’ai vu Kids le film de Larry Clark, qui allait traumatiser une bonne partie de ma génération pour des raisons qui étaient autant visuelles, que socio culturelles ou musicales. Sur la BO du film, il y avait tous ces morceaux incroyables de The Folk Implosion, le groupe “commercial” de Lou Barlow. Pourtant, celui que j’ai retenu c’était Casper, the friendly ghost de Daniel Johnston. Casper est un des personnages du film, un skater imbuvable dont on peut presque sentir l’odeur de la sueur quand on le regarde fumer, baiser et tabasser des gens. Ce morceau exprimait toute la fragilité et la complexité du personnage et par extension celles des années que nous vivions mes amis et moi. On avait beau être loin du Lower East Side, on se prenait quand même nos hormones et la peur du sida en pleine figure au fur et à mesure qu’on découvrait le sexe et les substances dans des maisons de lotissement laissées vides par nos parents. Le contraste entre le film de Clark, la profondeur brutale des personnages mis en scène (qui se confondaient avec les acteurs ados castés à Union Square) et cette musique fragile, sur le fil, laissait entendre qu’aucun d’entre nous n’était encore prêt à grandir. Il n’était pas question de folklore, de posture, d’analyse. Il était juste question d’un reflet musical et sonore qui disait en substance: “c’est la merde mais ça va bien finir par passer”. J’ai rapidement abandonné les vidéos de skate pour découvrir les photos de Larry Clark, Richard Hell, Will Oldham, Sebadoh. Quand Daniel Johnston est mort, j’ai tout de suite repensé à Justin Pierce, l’acteur qui jouait Casper dans Kids et qui s’était pendu dans une chambre d’hôtel de Las Vegas en 2000. 

Ces dernières années, en regardant des films et des séries, j’ai souvent l’impression qu’on me prend pour un idiot. Ou alors, au mieux, pour un gamin de 10/12 ans (et encore). Pourquoi me montrer une dizaine de fois la même séquence où Joaquin Phoenix devient un tueur psychopathe pour se venger d’une vie faite de maltraitances, le tout appuyé par des cordes infâmes qu’on avait pour habitude de garder pour les spots de pub contre le cancer il y a encore quelques années? On appelle à la rescousse les compositeurs de pop ou les musiciens rock pour leur science du climax, eux qui habituellement n’ont pas besoin d’images pour créer des ambiances. On oublie au passage que c’est lorsque la musique et le cinéma se défient, s’opposent, se complètent que des chocs esthétiques se créent. J’ai beau mettre The Downward Spiral de Nine Inch Nails dans mon top 10 de tous les temps, je ne peux m’empêcher de pousser un profond soupir quand je vois les noms de Trent Reznor et Atticus Ross apparaître au générique d’un film.

A l’opposé de toute une nouvelle vague de compositeurs de musiques de films venus de la pop et de l’indie rock, dont la mission principale est donc d’appuyer avec leurs gros sabots des propos visuels et narratifs pas toujours finauds, on assiste à une sacralisation des BO du passé, en particulier celles du cinéma de genre et/ou bis. Souvent convoquées par des spécialistes toujours en quête de nouveaux territoire à défricher, ces musique de films incarnent une vision un peu rétrograde d’une époque pré-technologique où Ennio Morricone, Vangelis, Philip Glass, François de Roubaix se taillaient une part de lion dans les long métrages qu’ils illustraient. Sorties de leurs contextes, ces musiques de films incarnent un refuge séduisant face aux robinets d’eau tiède de la production actuelle. Mais elles ne chamboulent pas grand chose à notre écoute de la musique. On les consomme séparément des films qu’elles illustrent, comme des produits de luxe censés incarner notre éventuelle position d’esthète.

Alors “plus rien ne me fait kiffer, plus rien ne me fait bander” comme chantait Doc Gyneco sur Nirvana? Bien heureusement, il existe un juste milieu entre la relative défaite créative de Stranger Things et les compilations de musiques de giallos chinées dans des vides greniers par des collectionneurs. 

L’année passée, je me suis surpris à écouter la musique différemment après avoir vu certains films. A découvrir la profondeur et le psychédélisme de la trap après avoir vu American Honey et ses couleurs pastels. A sentir de nouveau la simplicité adolescente de Sonic Youth après avoir revisionné cette incroyable scène de danse dans Simple Men d’Hal Hartley. A me faire happé par les nappes de synthétiseurs de Oneohtrix Point Never autant que par la dégringolade violente des personnages de Good Time

Puisque la presse le fait de moins en moins, le cinéma ouvre régulièrement des nouveaux chemins de traverse pour la musique pour peu qu’on s’y abandonne sans trop de préjugés. Loin de moi l’idée de m’ériger en exemple. J’ai juste envie de défendre une approche légèrement candide de la curation, de la critique. Qui refuse de mettre la posture avant l’émotion. Et qui cherche dans les sous textes de quoi bouffer, plutôt que de se prendre les wagons de la culture mainstream en pleine figure (voir numéro précédent) ou d’ajouter une culture un peu pédante à sa bite et son couteau avant de prendre la parole. C’est en tous cas ce que nous avons tenté de faire dans ce numéro.

Le prochain numéro du zine papier Le Gospel est en précommande ICI

Il sortira le 23 novembre et on fêtera l’événement au Chair de Poule à Paris.

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