Humide, pathétique & cathodique : Koudlam, « I Will Fade Away »

Pour cette nouvelle série thématique sur le site, nous avons décidé de retraverser quelques ‘amours maudits’. Au programme: passions éternelles et impossibles, losers magnifiques et coeurs brisés sur la dure réalité…

I Will Fade Away, le morceau qui clôt Alcoholic’s Hymns – le magnifique EP de Koudlam sorti début 2012 – est comme un tombeau consacré à l’amour maudit.

Mais attention pas n’importe lequel. 

Pic d’un Annapurna de passions contradictoires, on imagine en effet toujours que l’amour maudit communique avec les cimes. On voit le sempiternel même manège d’émotions incapables de se retenir ; on voit des corps se vautrer dans la damnation en persistant à contrarier des interdits édités par les dieux eux-mêmes. C’est la tragédie totale ; une tragédie orgasmique qui ne jouit que dans le bruit et la fureur. Ça braille fort. Le monde entier est pris à témoin. Il doit savoir. On invoque Shakespeare. On se représente des ciels accablés par des orages apocalyptiques et des étreintes brûlantes qui terminent invariablement dans les larmes et le sang. Et pendant qu’on s’enthousiasme pour toute cette pyrotechnie, on oublie l’autre amour maudit. Il faut dire que ce petit frère discret ne recourt à aucune éloquence dramatique. Il est prostré dans sa mélancolie. Il ne fait pas couler de sang et ne connaît même pas d’étreintes (il ne « consomme » jamais). 

Puisqu’il pose un véritable écran entre les deux partenaires et qu’il implique que l’un est toujours ignorant de l’autre, il est bien plus fréquent qu’on peut le croire. Qui n’est pas déjà tombé amoureux de telle actrice, tel acteur ? Qui ne s’est jamais abîmé dans une scopophilie complètement excessive ? Qui ne s’est pas lamenté de ne pouvoir plonger ses mains dans les cristaux liquides de l’écran pour sortir l’objet de son désir hors de la fiction et l’étreindre enfin ? 

Ce qui maudit cet amour-là c’est le caractère pathétique qui le caractérise. Absolument chimérique, conscient de sa propre incongruité, il est inconsolable. Il laisse ses minables petits sentiments s’ensevelir dans le cœur jusqu’à l’intoxication. Reste alors, claquemurée dans le thorax, quelque chose comme la ruine d’un monument sacré dédié à une divinité adorée sans plus d’encens qui brûle, ni visiteur connu pour le visiter – sinon peut-être une sorte d’archéologue dilettante et romantique en costume blanc. 

Koudlam, avec I Will Fade Away, contrarie son tropisme d’esthète des ruines de béton de la modernité et son spleen de crooner qui prend de la hauteur au sommet de pyramides (See You All) – ou carrément à dos de condor (Driving My Own Condor At The Night Over The Whole Crap). Comme le montre le clip de Jamie Harley 1min16 durant, l’affaire est au rouge-gorge blessé plus qu’au condor glorieux. Casting, scènes, interview, photoshoots, c’est un montage exclusivement consacré à l’actrice pornographique Shauna Grant. Quelques secondes de celui-ci suffisent à inspirer (sans même le connaître) toute la tristesse de la belle blonde (elle s’est suicidée à 21 ans et n’a supporté aucune des scènes qu’elle a pu tourner (la cocaïne aidant à peine). Au naturel ou surmaquillée, espiègle ou abandonnée, on sent son âme se flétrir à chaque nouvelle image irradiée par la résonance lumineuse cathodique de bandes magnétiques analogiques.

I was made of tears, this morning
When I saw your face
On Tv I cried
Cause I knew you were, the queen of my heart
The one who’s second was hard

Le génie de ce morceau – qui fait terriblement mouche au cœur à chaque fois – réside dans le fait que tout ce romantisme qui se berce d’illusions pathétiques parvient à traverser l’écran et à faire se communiquer les deux parties. C’est la malédiction de l’amour au carré. Shauna Grant n’a, en réalité, jamais été inaccessible comme les autres. Comme elle l’a dit avant de mettre fin à ses jours, elle n’aspirait qu’à un peu de « sécurité, une maison, des enfants et un homme qui (l)’aime ».

C’est bien le plus triste :  de l’autre côté de l’écran elle aussi tendait ses bras pour qu’on l’arrache à la réalité.

ARTHUR-LOUIS CINGUALTE

PS: En faisant des recherches pour la publication de cet article, nous sommes tombés sur un autre morceau qui évoque Shauna Grant, sorti en 1991 par Klaus Flouride ((ex bassiste des Dead Kennedys). Le voici désormais accessible à tou.te.s.

Cet article est issu de la série « Amours maudits » du Gospel. Si ça vous a plu, vous aurez peut-être envie de laisser un « tip » pour donner un coup de pouce au site/zine que vous lisez. Vous pouvez aussi commander un t-shirt ou un zine par ici.

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