Avec Meat Loaf, l’amour est une boucherie

Pour cette nouvelle série thématique sur le site, nous avons décidé de retraverser quelques ‘amours maudits’. Au programme: passions éternelles et impossibles, losers magnifiques et coeurs brisés sur la dure réalité…

En 1977, en sandwich entre la sensualité clinquante de la disco et la fureur juvénile et revendicatrice du punk, l’album Bat Out of Hell apparaît sans prévenir dans la fumée d’un OVNI piloté par Meat Loaf. Complètement anachronique, ce merveilleux opéra rock raconte la naïveté des premiers émois adolescents et les histoires d’amour bancales qui les accompagnent à travers des morceaux gonflés à l’hélium, débordant de tous les côtés, guidés par le charisme de Meat Loaf qui s’insère parfaitement dans le rôle d’homme transi par la fureur d’un désir naissant et incontrôlable. Obèse et maladroit, suintant, les yeux furieux et exorbités, celui qui se définit comme un vulgaire pain de viande est l’anti-héros par excellence. Il est aux antipodes d’une rockstar taillée dans le bronze mais sa rencontre avec le songwriter Jim Steinman va faire briller sa théâtralité sans pareille aux yeux de l’Amérique. Ensemble, ils créent une œuvre intemporelle, fusion parfaite entre les productions explosives de Broadway et l’hédonisme sans limite du rock’n’roll… et livrent par la même occasion une vision tendre et plutôt fidèle de l’amour de jeunesse, terrain de toutes les cruautés. Sujet très souvent traité, aussi bien en musique qu’au cinéma, il devient ici sophistiqué, voué à être pris au sérieux au même titre que les problématiques sociales dénoncées par les groupes de punk à la même époque. 

Meat Loaf et Jim Steinman

Comme une continuité de son apparition tonitruante dans la comédie musicale culte Rocky Horror Picture Show deux ans auparavant, où son personnage de motard zombie Eddie terrorise la bande de freaks avec son interprétation mémorable de Hot Patootie , la pochette de Bat Out of Hell annonce la couleur. Elle est signée Richard Corben, avec son personnage décollant littéralement d’un cimetière sur son énorme moto, encouragé par une chauve-souris maléfique, sous un ciel rouge sang aux accents orangés rappelant l’esthétique horrifique pulpeuse des meilleurs artworks heavy metal. Mais l’album n’emprunte pas tant à l’univers du film fantastique qu’à celui du teen movie, où le lycéen sportif et plein d’hormones finit avec la pom-pom girl peu farouche à l’arrière d’une Ford convertible devant un cinéma en plein air. You Took The Words Right Out Of My Mouth , deuxième morceau de l’album, est un film à lui tout seul avec son dialogue d’introduction et sa narration précise qui déroule l’histoire d’une chaude nuit d’été où un jeune couple en devenir s’enlace pour la première fois, seul au monde un instant, avant que le crépuscule ne vienne faire voler en éclats les promesses d’un amour éternel. Bat Out Of Hell est une ode à la passion comme il n’en existe qu’au au cinéma, avec son romantisme sans borne, son dévouement maladif et ses déchirures brutales. 

 Paradise by the Dashboard Light met en scène un rendez-vous galant au drive-in, poncif du teen movie américain où Meat Loaf se voit contraint de confesser son amour pour une femme qu’il ne désire que pour la nuit. C’est la rencontre classique de deux attentes : le romantisme associé au personnage féminin et la pulsion sexuelle fugace du personnage masculin. Le tout narré par le célèbre commentateur de baseball Phil Rizzuto qui ajoute une touche comique à ce duel adolescent. En huit minutes, on passe du premier date au mariage, jusqu’à l’inévitable divorce de deux gamins rattrapés par la réalité et les conséquences d’un acte spontané. Parfaitement traduites en musique, via des changements de rythmes et d’orchestration, les étapes de l’histoire d’amour maudite semblent se dessiner. Si certains passages flirtent avec l’absurde, Bat Out Of Hell n’en est pas pour autant une blague. En voyeurs des tentatives de rapprochement d’un Meat Loaf survolté, on est livré à un album plus que cinématographique où les plans se succèdent à un rythme frénétique. Chien enragé ou gargouille glapissante, notre héros inconsolable se confesse sans retenue dans une ambiance de comédie musicale démoniaque. Le pain de viande cherche sa sauce aux airelles mais finit par se faire dévorer par le contrecoup de ses fantasmes. 

 

 

Bat Out Of Hell renferme aussi l’une des plus belles chansons de rupture au monde : Two Out of Three Ain’t Bad  dont les paroles épousent parfaitement la forme d’un cœur brisé. C’est la power ballad ultime où Meat Loaf demande à sa compagne de se contenter d’être désirée à défaut d’être aimée. On y retrouve encore cette relation à deux vitesses où les attentes de l’une sont broyées par le flegme de l’autre. 

« I want you, I need you

But there ain’t no way I’m ever gonna love you

Now don’t be sad

‘Cause two out of three ain’t bad (…) »

Adaptée en comédie musicale en 2017, la trilogie des albums Bat Out Of Hell (dont les deux suivants sont moins recommandables) a conservé son statut d’œuvre culte, le premier se vendant à plus de quarante-trois millions d’exemplaires dans le monde. Par sa fantaisie espiègle, ses mélodies mélancoliques et son frontman hors normes, le projet orchestré par Jim Steinman a touché l’Amérique en plein cœur. Le compositeur aux airs d’éternel adolescent, fan des Beach Boys, des Rolling Stones et d’opéra est parvenu à insuffler un peu d’excitation, de fièvre juvénile, à une industrie devenue trop cérébrale et ennuyeuse à son goût. Produit par Todd Rundgren, ce projet épique donne envie de se lover dans le monde parallèle de Meat Loaf où les ados sont rois et le rock’n’roll est encore une religion.  

ALICE BUTTERLIN

Cet article est issu de la série « Amours maudits » du Gospel. Si ça vous a plu, vous aurez peut-être envie de laisser un « tip » pour donner un coup de pouce au site/zine que vous lisez. Vous pouvez aussi commander un t-shirt ou un zine par ici.

 

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