THE REPLACEMENTS: too drunk to fuck

Les romanciers sont en général aussi mauvais pour écrire sur les groupes de rock que les cinéastes pour filmer les musiciens (et je ne parle pas des scènes de boîtes de nuit). Heureusement, il reste ici et là quelques exceptions. Une des plus glorieuses est sans aucun doute Freedom, un des livres les plus réussis (cela n’engage que moi bien sûr) de Jonathan Franzen, mon auteur vivant préféré . Une lecture que, vous l’aurez compris, je vous recommande chaudement, en particulier après avoir parcouru cet article, tant le personnage de Richard Katz, dans le roman de Franzen, semble inspiré par Paul Westerberg, le chanteur guitariste des Replacements, formation culte (si ça veut encore dire quelque chose) du rock alternatif américain. 

Dans Freedom, comme le pointait un journaliste de NPR, les deux mots les plus utilisés sont “freedom” et “mistake”, une profession de foi qui correspond à merveille au groupe de Minneapolis, losers magnifiques de la scène rock des années 80, qui firent la jonction entre punk rock naissant et circuit college rock dominé ensuite par REM et les Pixies et attendèrent leur reformation pour enfin jouer les Dieux du stade. Richard Katz, le personnage charismatique et légèrement sociopathe naviguant entre reconnaissance et purs moments de lose, incarne une jolie parabole de l’évolution du punk rock du début des années 80 à la fin du XXème siècle. Et celle de l’industrie musicale, une fois l’électrochoc du mouvement passé, qui laissa à la porte nombre de groupes et d’artistes talentueux. Insortables ou trop gourmands. Ou les deux comme dans le cas des Replacements. 

 

Il est assez drôle en fouillant les archives de voir que ce groupe suscite encore des réactions ulcérées de journalistes (que j’imagine plus âgés) toujours aussi sceptiques face à l’intérêt accordé aux punks de Minneapolis et à la place qu’ils ont réussi à prendre au cours des années dans la culture (plus ou moins) underground des années post-Internet. Pour ma part, j’ai découvert The Replacements pour des raisons assez discutables, car ils étaient régulièrement cités par des groupes pas terribles de la deuxième vague emo. Dites vous qu’avant Spotify et YouTube on s’éduquait comme on pouvait et que nombre de mes congénères ont découvert Refused avec Papa Roach et Fugazi avec Blink 182. Parenthèse fermée, que fait-on des Replacements en 2020?

On repense à leur histoire car elle est l’incarnation vivante de l’esprit punk et des raisons qui obligèrent un certain nombre de gamins issus de cette vague à rester fort dépourvus quand la bise fut venue. Le groupe naît à Minneapolis à la fin des années 70 dans un mélange d’ennui, de frustration, de traumatismes et de colère envers le système. Bob Stinson, 19 ans, enfant abusé et récemment sorti de maison de correction, entraîne son frère Tommy (11 ans, on oublie souvent à quel point le punk rock américain était joué par des enfants) et Chris Mars à former un groupe pour éviter les problèmes. Un concierge qui passait régulièrement devant leur maison finit par insister pour chanter dans le groupe. Il s’appelle Paul Westerberg. D’emblée, le clan Stinson et la vision du nouveau chanteur divergent. Si Westerberg est plutôt sage et appliqué, le reste du groupe est défoncé jusqu’à la moelle et répète tant bien que mal sous influence. C’est probablement dans ce choc qu’il faudra chercher les origines du chaos mélodique du groupe, qui donne l’impression de marcher sur des braises avec l’arrogance de ceux qui n’ont rien à perdre. Avec Hüsker Dü, The Replacements commencent à ouvrir une nouvelle porte au punk rock du tout début des années 80. Ils sont moins violent que leurs cousins californiens et moins poseurs que leurs collègues new-yorkais. Plus émotionnels aussi. 

 

Le groupe commence à prendre son envol grâce à Peter Jesperson, Dj local et propriétaire du seul magasin de disques cool de l’époque. Il les signe sur son label Twin/Tone et leur fait enregistrer en 1980 (l’année de la mort de Darby Crash et John Lennon donc, tout un symbole), le bien nommé Sorry Ma, Forgot To Take Out The Trash qui sort en 1981. Comparé aux efforts enregistrés à la même époque, le disque sonne déjà un peu loin des standards du punk hardcore californien. Si la fougue juvénile est la même, l’écriture musicale est plus travaillée, moins brute; Kids don’t follow (dont l’introduction laisse entendre la police de Minneapolis qui tente d’arrêter un concert du groupe), et les 7 titres qui l’accompagne sur l’EP Stink donnent déjà des signes du potentiel mélodique du groupe. A cette époque, The Replacements, et Westerberg tout particulièrement, voient déjà une impasse dans l’esthétique punk, persuadés que pour toucher un public plus large, il va leur falloir ouvrir le champ des influences et s’adoucir un peu.

Enfin, sur le plan musical. Car côté personnel, The Replacements est une bande de tarés qui écrit son histoire à coups d’esclandres et de concerts catastrophiques, revendiquant rapidement le titre de seigneurs de l’ethylopunk. Si l’héroïne suinte les disques de Nirvana et la codéine ceux de Lil Wayne, l’alcool est le ciment de la maison Replacements. A tel point qu’on prête à Westerberg d’avoir obligé Bob Stinson à recommencer à boire pour rester dans le groupe quand celui-ci était devenu sobre

Hootenanny, leur deuxième long format sorti en 1983, leur permet de partir en tournée pour la première fois aux Etats-Unis. Et ça ne se passe pas tout à fait comme prévu. Le groupe cultive une attitude de fêtards incontrôlables et peinent à rentrer au CBGB le soir de son concert. Il existe à ce sujet des tonnes et des tonnes d’anecdotes plus ou moins avérées (qui apparaissent dans plusieurs biographies et documentaires écrits au fur et à mesure que le culte autour du groupe a grandi). A Minneapolis, ils passent régulièrement leurs nuits avec David Carr, journaliste tête brûlée génial et crackhead totalement cinglé qui finit sa carrière au New York Times et rédigea l’ultra recommandable Nuit du revolver (un des meilleurs livres qui portent sur l’addiction). 

Le destin du groupe prend un autre tournant avec l’enregistrement du disque que je préfère Let it Be, qui à l’image du choix de son titre porte déjà l’ambition de Westerberg de casser la baraque. Un temps pressenti pour être produit par Peter Buck de REM, c’est le dernier album en indépendant du groupe, toujours réalisé par le très patient Jesperson qui qualifie la consommation d’alcool de ces poulains de “suicide collectif”. Ce disque raconte un changement d’époque. Si les tempos sont toujours ceux du punk, les arrangements et les thèmes évoqués annoncent déjà l’avènement du rock alternatif et ses introspections. Les balades du disque (Unsatisfied, Androgynous) comme les refrains saturés poussent le groupe hors du prisme punk rock. Pas encore sur le toit du monde, mais sur celui d’une maison de banlieue (comme David Katz le couvreur rockeur du bouquin de Franzen tiens), ils contemplent une génération de gamins  perdus, accros au bourbon cheap et à l’héro, qui peinent à se passionner pour le dandy Michael Stipe et le trop cartoonesque Frank Black. 

C’est finalement Sire Records (sous division de Warner) qui signe le groupe en major et paraît tout indiqué pour faire des Replacements un groupe gigantesque. Celui-ci enchaîne les disques et les tubes en puissance (Kiss Me On The Bus, Bastards Of Young) mais rate le coche du succès mainstream. Les musiciens apparaissent complètement déchirés au Saturday Night Live en 1985 (et se font bannir à vie du show), et MTV censure The Ledge, qui évoque les pulsions suicidaires de Westerberg (quatre ans avant de faire de Cobain une star énorme). Bob Stinson quitte le groupe (ou est viré) et la formation sort des albums de plus en plus commerciaux. A la recherche d’un succès qui ne vient pas, The Replacements perd peu à peu ses fans de la première heure. En 1991, le groupe joue son dernier concert, surnommé par ses fans (et bootlegers) It Ain’t Over ‘Til the Fat Roadie Plays, puisque les membres disparurent peu à peu de scène remplacés par leurs roadies, dans une conclusion idéale pour ce groupe de losers magnifiques d’une arrogance folle, resté aux portes de la gloire. Bob Stinson, abandonna la carrière de musicien pro pour devenir cuistot et mourut tristement de ses excès en 1995, alors que son frère rejoignait les Guns N’ Roses dans les années 90 et que Westerberg se lançait en solo. 

 

Ironiquement, c’est l’année de leur split que leur approche musicale muta dans ce qu’on appela le grunge. Les médias se ruèrent sur de nouvelles rock stars débraillées et junkies. Celles précisément qui portaient leur mal être en bandoulière de morceaux violents et accrocheurs comme Westerberg et ses potes en jouaient depuis deux décennies (aux côtés d’autres groupes de la même époque comme Hüsker Dü ou Beat Happening). Cités au début des années 2000 par une nouvelle génération, The Replacements fait son retour dans la pop culture et Westerberg signe en solo chez Vagrant (le label qui compte dans la scène emo punk de l’époque). C’est finalement d’une manière un peu surréaliste (mais finalement assez symptomatique de ce groupe de semi-rock stars), le festival Coachella qui programme leur reformation. Si désormais le groupe sait se tenir plutôt correctement lors de ses apparitions, il peut compter sur son image d’incontrôlables alcoolos iconoclastes (derrière laquelle se cachait des failles de plus en plus visibles) pour continuer d’écrire leur légende. Si l’envie de jeter les toilettes du van par la fenêtre sur l’autoroute vous prend, pensez-y à deux fois: ça a déjà été fait.

ADRIEN DURAND

Cet article est tiré du zine papier #6 Le Gospel consacré aux « petites histoires du punk rock »

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