Rivière de Corps: « une forme de force noire et dense où il peut persister quelques traces de lumière »

Depuis quelques années, je vois des châteaux forts partout, des épées médiévales se balader de pochettes de disques en photo promo et Jeanne D’Arc devenir presque aussi cool que Kate Bush (placement de produit). Notre époque des néo-Lumières (celles de nos écrans du moins) aurait-elle besoin d’opposer un imaginaire héroïque aux injonctions éreintantes de la surproductivité capitaliste? Il y a probablement un peu de cela mais à voir une frange d’artistes ultra underground s’emparer des esthétiques dungeon synth et d’un ésotérisme débarrassé de ses manipulations identitaires, on réalise à quel point la figure du chevalier correspond relativement bien à la position d’un.e musicien.n.e underground en 2022. Parmi ses valeureuses têtes brûlées, Adrien C. produit depuis quelques années une musique libre et chaleureuse sous le très beau nom de Rivière de Corps. Naviguant entre noise synthétique et cold wave bricolée au Casio, ses disques s’enchaînent et construisent une oeuvre étrange et sacrément hypnotique. Je lui ai envoyé quelques questions par mail.

Comment a évolué la musique de Rivière de Corps depuis les débuts ?


Depuis mon premier concert avec ce projet en 2017, j’ai sorti 3 cassettes et fait beaucoup de concerts. Je n’ai pas forcément le sentiment que ma musique ait beaucoup évolué, mais c’est certain qu’elle s’est précisée et développée.  Et peut-être que maintenant que le triptyque est conclu, je vais songer à le rebooter, faire la même choses mais différemment.

Comment décrirais-tu l’énergie et l’imaginaire que tu y développes?

Dans mon esthétique, je suis pas mal inspiré par des folklores populaires plus ou moins modernes, comme dans le clip de « Ceux qui Rôdent » qui montre le procès et la crémation de monsieur carnaval dans le village voisin d’où j’ai grandi, le tout sous le regard d’enfants pas si innocents. Avec ma musique j’essaie de développer une forme de force noire et dense où il peut persister quelques traces de lumière. C’est aussi dans les titres de mes morceaux que je m’amuse à déployer mon univers avec des références à la culture populaire (La Chair Salée  qui est le nom d’un dragon anciennement fêté à Troyes) et aux jeux vidéo ( L’Incident du Sang Vicié » le nom d’une épidémie dans WoW). Le jeu vidéo et Internet sont des nouveaux territoires qui me fascinent, où l’on peut y trouver beaucoup de promesses et de mystères.

Il y a souvent des sonorités stridentes, des pics dans les aigus qui me rappellent certains disques early Black Metal dans tes morceaux. Est-ce que c’est un son qui t’influence?

J’écoute régulièrement du black metal mais musicalement j’ai surtout été influencé par des sous-genre du black metal comme le dungeon-synth ou des groupes de drone comme Sunn O))). Avec mes problèmes d’attention j’ai besoin que la musique soit très simple pour arriver à m’y plonger.

Il y a une grosse résurgence d’univers ésotériques, médiévaux, occultes dans la musique underground actuellement. Comment l’expliques tu?

J’ai aussi remarqué ce retour de l’esthétique médiévale et médiéval-fantastique dans la musique underground mais aussi beaucoup dans l’illustration. Même si ça reste encore dans des petites sphères, je pense qu’il s’agit de la perpétuation naturelle d’un folklore populaire. Le médiéval-fantastique est une sorte de MCU libre de droit, un univers avec ses codes que les gens ont toujours pu s’approprier et réinventer. Jusqu’à cette résurgence le médiéval-fantastique n’avait peut-être pas été très prolifique car il était surtout laissé aux mains d’imaginaire plus réactionnaires je suis content que ça ait évolué. Et pour l’ésotérisme, il ne touche pas seulement les domaines artistiques, on retrouve l’ésotérisme dans le reste de la société avec le retour des astrologues, des cristaux, des druides…Il doit s’agir d’une résurgence comme il y en a eu dans les années 70 avec le new-age ou dans les années 90 avec le satanisme.

 

Ton dernier disque est basé sur “six souvenirs”, peux-tu nous expliquer comment ce format t’est apparu et quelle est ta vision de la mémoire (sonore, visuelle, cachée) ?

Le souvenir et la mélancolie sont des choses récurrentes dans mes projets musicaux et visuels, comme dans mon dernier clip  La Cure , qui est une sorte de diaporama sur ma vie, On dirait que t’es mort  a dit ma mère en voyant la vidéo.  Les souvenirs se transforment, se dissipent et se perdent, ce sont des caractéristiques qui collent bien avec ma musique. L’idée des six souvenirs est de Gautier Somborn du label Grande Rousse Disque pour présenter les différents morceaux de ma dernière cassette. J’aime beaucoup l’extension du lore qu’apporte Grande Rousse, nos deux univers sont pas mal raccords.

Il y a quelque chose de très artisanal dans ta production. Est-ce voulu ou est-ce imposé par une économie de moyens? 

Je n’avais pas de formation musicale et à 20 ans, j’ai commencé à construire mon set-up avec du matériel que je trouvais dans les Cash Express et sur Le Bon Coin. Je compose et j’enregistre moi-même en live ça doit expliquer le côté DIY de mes morceaux. La musique électronique est très ludique, on peut vraiment s’amuser à créer des boucles d’effets et des synergies entre différents éléments, ça me fait souvent penser au plaisir que l’on peut avoir en créant un deck de carte Magic.

Comment vis-tu ta musique sur scène? As-tu des expériences de tournées à nous partager?

Je compose mes morceaux en priorité pour les concert, je fais donc beaucoup de concerts pour tester mes morceaux et j’essaie de jouer dans beaucoup de ville différentes. Venant d’une ville moyenne (Troyes) je n’avais pas du tout accès à des concerts, la politique culturelle à Troyes est vraiment désastreuse. On a dû organiser nous-même des concerts dans les rades, malheureusement la plupart des bars qui acceptaient de me laisser organiser des concerts ont fermés, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai déménagé en Alsace. Désormais je m’implique dans une salle underground strasbourgeoise : le Diamant d’Or.

 

Tu sors pas mal ta musique sur format K7. Comment juges-tu ce format? Es-tu attaché à l’idée que ta musique soit disponible sur des objets?

J’ai vraiment besoin que la musique soit figée et cristallisée sur un support physique, pour faire exister la musique mais c’est aussi une excuse pour l’accompagner d’une esthétique au travers de la pochette. C’est pour cette raison que j’ai créé un micro label, Vague à l’Âme, pour m’amuser à créer des esthétiques sur des projets que j’aime, je fais aussi beaucoup de pochettes pour les ami.e.s de Grande Rousse.

La cassette est un format pratique pour les petits labels, elles sont faciles à dupliquer et à recycler, on peut imprimer soi-même les pochettes avec une simple photocopieuse et peuvent être revendues pour pas chère. Je dirais que la cassette est au vinyle ce que le fanzine est au livre.

 

Rivière de Corps sera en live le 17 décembre à Paris au Marché de Noël organisé par A Certain Radio et L’international (et nous y tiendrons un stand).

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