Quelques influences derrière « Autodafé » de Thomas E. Florin

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Si j’en crois ce qui est indiqué sur le manuscrit, j’ai écrit Autodafé entre le 21 novembre et le 15 décembre 2023, soit les derniers feux de cette année durant laquelle je n’avais travaillé à aucun texte long, une première depuis 2017, et cela ne me semblait vraiment pas sérieux.

Je n’avais aucune idée préconçue en tapant les premières phrases de ce texte mais je savais de quoi j’avais envie : écrire le moins possible, ne faire aucune littérature et surtout ne pas avoir à réfléchir au récit, que, pour ma part, j’ai toujours ressenti comme une convention.

Je n’avais donc pas grand-chose en tête quand j’ai commencé à écrire dans l’application de note de mon iPhone lors d’un trajet sur la ligne J d’un Transilien en direction de Gisors. Je savais ce que je risquais d’y aborder mais, à bien y réfléchir, je ne connais qu’un seul autre livre qui ait le même thème que celui-ci : Une Activité Respectable de Julia Kerninon. On a toujours besoin d’un modèle quand on écrit quelque chose de long et peut-être ce livre a-t-il été mon modèle inconscient. À bien y regarder, il y a plusieurs similitudes entre les deux : leurs longueurs, l’intimité du sujet, certains souvenirs de jeunesse et quelque chose de générationnel, je dirais une sorte de ton. Ce livre qui m’a été offert par ma belle-mère et donc la fin – “Maintenant, mes livres sur des étagères de librairies paraissent logiques, évidents, on peut s’en servir pour justifier tous mes manquements, mais je me rappelle du moment où mes failles n’avaient pas encore d’explication, où il était possible qu’elles n’en aient jamais, et que je reste pour toujours à la porte de ce qui est important”- cette dernière partie de la phrase surtout, le  “et que je reste à la porte de ce qui est important”, m’avait tellement marqué que je lui ai écrit une lettre à laquelle elle à répondu, quelques mois plus tard, d’une carte postale d’Edward Hopper, Room In New York qu’elle a mystérieusement pliée en deux alors que l’enveloppe était assez grande pour la contenir. Ce qu’elle y a écrit est privé mais cela était très simple et fait avec tellement d’élégance que je le considère comme un vrai geste et je l’en remercie encore. 

Autodafé a donc été écrit vite avec, pour seules BO, celle de Taxi Driver que Jaffar passait tous les matins de cette fin d’automne au Clair de Lune, le café du bout de la rue Houdon; puis, à la maison, quand je reprenais à l’ordinateur les phrases de la matinée, sur We Hate Everyone de Type O Negative, un groupe que je me suis mis à réécouter à cette période à cause de notre première conversation avec Adrien Durand, fondateur du Gospel et éditeur aujourd’hui de ce livre. Le titre de la chanson en dit assez long sur mon état d’esprit de l’époque mais, si je l’aime tant, ce n’est pas tant pour son nihilisme stupide que pour son larsen de chorus d’introduction et parce qu’à mon sens,Type O Négative est le plus grand et même le seul groupe à avoir réussi l’alliage de la sincérité et d’une autodérision quasi cruelle.*

Je me rends compte aujourd’hui, à la réécoute de la chanson, que sa structure en trois parties –  radical au début, satyrique au milieu, et lyrique à la fin, avec une reprise du début en coda – est exactement la structure de mon texte. Type O Negative, que j’écoutais avec ma première petite amie dans le bus qui nous ramenait de la patinoire de l’île Lacroix vers le lycée Rey – une oreillette chacun, la droite pour moi, la gauche pour elle – est pour moi rattaché à Rouen, à l’esprit même de la ville, sa mélancolie naturelle et son humour féroce, deux qualités que je rattache au romantisme et au dadaïsme. Car écrire un livre contre les livres est absurde, idiot, gratuit et comique, mais dénote aussi d’une tristesse immense, et toutes ces choses me font penser à cet autre Rouennais, Marcel Duchamp, dont les entretiens avec Pierre Cabanne publiés par Allia sont certainement la dernière influence de ce livre. Ce qu’il y dit sur son milieu, sa démarche anti-artistique, sa manière de préférer les clubs d’échec aux conversations de galeries, sa volonté de sortir la peinture du rétinien, et cet immense besoin chez lui d’émancipation, lui qui était pourtant un peintre plein de talent, le plus esthétique de tous comme l’appelait Francis Bacon ; tout cela a ouvert quelque chose en moi qui est ressorti dans ce livre. 

 

*C’est aussi le seul groupe gothique que je connaisse à avoir repris Neil Young.

Thomas E. Florin

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