Je ne sais pas si c’est le contexte général ou celui plus intime qui me pousse de plus en plus régulièrement à me poser des questions sur l’utilité et la valeur des choses. Mais en démarrant Le Gospel après de nombreuses expériences variées dans la musique et l’écriture, j’avais un peu comme ambition d’essayer de créer un canal d’expression pour quelque chose de différent. Ce n’était absolument pas par volonté de révolutionner ce qui existait déjà ou de créer un nouveau “marché” (beurk). Mais c’était, beaucoup plus égoïstement, parce que j’avais envie d’écrire et de publier le genre de textes que j’avais envie de lire.
Je comprenais parfaitement le désintérêt de certains pour la critique musicale (qui n’a jamais eu de tradition historique solide chez nous, à la différence du cinéma par exemple). J’étais moi même assez dubitatif quant à ma propre légitimité à juger le travail des autres. Et je comprends aussi parfaitement pourquoi certains s’y accrochent. De toute façon, il semblerait que les nouveaux outils de diffusion et d’expression se chargent de dégommer la prescription musicale réalisée par des êtres humains. Problème réglé (certainement pour le pire, malheureusement).
Alors pourquoi, en 2022, continuer de lire et d’écrire sur la musique?
S’il y a probablement mille façons de faire, celle qui semble encore un peu méconnue en France (encore ces foutues histoires de tradition, littéraire cette fois), mais que je trouve essentielle, voit les auteurs se faire une place de choix dans le texte et reprendre le contrôle créatif de l’écriture.
“Auteurs” voilà un mot important. Les plus audacieux agissent presque comme des héros : ils empruntent des chemins qu’on n’oserait jamais arpenter, ils posent des questions qui nous brûlent les lèvres, ils interrogent le surgissement créatif ( à mort les génies) et décuplent par le danger qu’ils bravent (intellectuel, physique, économique) les effets que la musique a sur notre vie, à tous et toutes. Lire Nick Tosches, Joan Didion, John Darnielle, Fred Vermorel ou Vivien Goldman quand ils/elles parlent de musique c’est un peu comme jeter un shot de whisky dans sa bière. Ça change tout, même si le matériau de base est le même.
La musique est avant tout une histoire d’affect, d’expérience subjective, d’une sorte de paradoxe qui nous pousse à chercher des reflets de notre expérience intime dans la relation à l’autre.
Après avoir tenté moi même de marcher au bord du précipice (comprendre: écrire sur la musique à ma façon, sans avoir peur de tomber de haut), j’ai décidé que la maison d’édition du Gospel serait une base, un refuge pour les textes qui s’inscrivent dans cette exigence et ce feu intérieur. Les deux premiers livres que nous publions ont été écrits, à leurs façons différentes, dans une démarche créative totalement libre, totalement personnelle, à contre-courant total de ce qui existe ailleurs. Et croyez-moi: ça change tout.
On se bat contre des moulins mais on est heureux de le faire.
Vous pouvez, si vous souhaitez (et pouvez) nous soutenir, précommander nos premiers livres par ici.
Ce n’est que le début!
ADRIEN DURAND
Photo en une: Jim Goldberg, dont j’espère un jour nous pourrons éditer un livre.