PEN1 DEATH SQUAD: les punks racistes au pays de Mickey Mouse

Illustration: Anne-Sophie Le Creurer pour Le Gospel (2019)

Fin janvier 2019, un fait divers local fait les gros titres de la presse musicale spécialisée et attire mon attention: une bagarre violente dans un concert punk hardcore américain dans la petite ville d’Orange County, en Californie. Si certains ont pu exprimer une certaine nostalgie de l’époque où un t-shirt de groupe porté dans la mauvaise rue pouvait déclencher un affrontement, les rivalités liées à la musique semblent désormais appartenir à un folklore lointain . La presse américaine, encore plus qu’ailleurs, a bien compris le potentiel viral des bagarres filmées, en particulier quand elles sont sanglantes et impliquent des tensions raciales. C’est un peu la déclinaison contemporaine d’émissions de trash TV telles que Cops, qui mettaient en scène des arrestations de dealers ou des interventions dans des violences domestiques. Mais revenons à nos nazillons…

 En cette fin janvier, donc,  un concert de charité est organisée au Garden Grove Amphiteater à Orange County, le comté immortalisé par la série du même nom et qui a vu naître Offspring, No Doubt, Ignite et un paquet de groupes de punk plus ou moins mélodiques. Une bande de crânes rasés débarquent pendant le set de Reagan Youth, groupe de New York hardcore formé dans les années 80 (et évidemment revenu récemment dans le circuit nostalgie), connu pour ses engagements anti-racistes et se produisant à la grande époque en uniformes du Ku Klux Klan (dans une volonté de satire je vous rassure). L’un des trublions fafas arborant un t-shirt Skrewdriver (groupe punk idoles des white supremacists), la bande se retrouve escortée dehors, d’abord dans le calme puis rapidement dans le chaos et le sang.

 

Et la violence prend le pas sur la musique

La crispation autour de ce micro-événement s’explique probablement par le contexte politique actuel. Les affrontement à Charlottesville entre extrême gauche et droite provoquant la mort de Heather Heyer, une jeune militante antiraciste, sont encore (bien heureusement) dans tous les esprits un peu moins de deux ans après les faits. Le soutien de Trump donne des ailes à la frange la plus extrême de la droite américaine, notamment celle qui s’auto-définit comme aryenne. La pression est d’autant plus forte dans cette région des Etats-Unis qui a un long historique de gangs violents de suprémacistes blancs, notamment au travers des activités d’une des bandes les plus dangereuses connues sur le territoire américain: le PEN1 Death Squad. 

Ce gang a beaucoup inspiré le cinéma et la télévision car son histoire, sa forme et ses actions cristallisent énormément de fantasmes. Si PENI est l’acronyme de “Public Enemy Number One” (écrit PEN1 par ses membres), il est initialement inspiré par lese anarcho punks anglais de Rudimentary Peni. Elliptique et très sombre, ce groupe tire son nom d’une phrase entendue par un de ses membres pendant ses cours biologie “in the fetal stage the clitoris is a rudimentary penis”. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que les nouilles d’extrême droite n’ont pas la lumière à tous les étages, le nom du futur gang californien s’inspire donc d’un groupe deathrock anglais, fasciné par l’anarchisme et Lovecraft et qui a composé sa musique en partie pendant un internement en hôpital psychiatrique.

Au début des années 80, la scène punk qui a initialement émergé sur la côte Est des Etats-Unis fait son arrivée dans la capitale de tous les excès: Los Angeles. Les concerts qui se déroulent sur place sont synonymes d’agressivité extrême et peu à peu la violence prend le pas sur la musique. Se forment divers gangs de rue au sein de la scène punk qui vont peu à peu développer des activités criminelles. Scott Miller, abattu d’une balle dans la nuque par deux membres du PEN1, a une destinée qui raconte ce glissement. Connu comme un gentil gamin punk pendant son adolescence, il abat à 19 ans un membre d’une bande rivale et devient peu à peu le héros des skinheads californiens, laissant tomber son amour pour la musique pour n’en garder que l’uniforme (et quelques souvenirs de mosh pits). 

Scott Wilkins

Dans American Hardcore: a tribal history, Scott Wilkins, un temps chanteur de Verbal Abuse (groupe hardcore de la côte Ouest américaine), raconte: “tout a changé quand les flingues sont arrivés. Je faisais partie des LADS (un gang punk) quand j’avais 17 ans et un jour où on était assis avec mes potes, ils ont commencé à se passer des revolvers comme si de rien n’était. J’ai décidé d’arrêter et j’ai déménagé à San Francisco. “

 

Club de bagarre

Après le premier meurtre commis par Miller, certains LADS se sont mis à rejoindre le PEN1 ou pour les plus extrêmes la Fraternité Aryenne. La Californie connaît alors un pic de violence avec la formation de très nombreux gangs qui s’affrontent un peu partout dans la région. Leur point de ralliement et leur champ de bataille est un club de Long Beach: le Fender Ballroom, rapidement surnommé Fender Brawlroom (brawl signifiant “bagarre” en anglais). La salle accueille des concerts de l’âge d’or du punk américain : de Bad Religion à The Adolescents en passant par Gwar. Mais chaque week-end, les pogos finissent en fusillades entre gangs rivaux. Le fait que tous leurs membres découvrent la méthamphétamine et fument des “sherms” (cigarettes trempées dans le PCP) n’arrange rien. Cette dérive criminelle et violente est rapidement dénoncée par les musiciens, Henry Rollins en tête. Le PEN1 déplace ses activités et s’implante dans les années 90 un peu plus au sud à Orange County, territoire vierge.

Le gang prend de l’ampleur, assoit son activité criminelle et devient ainsi le premier gang hybride, exprimant sa domination autant dans la rue qu’en prison. Prostitution, cambriolages, trafic de speed et de méthamphétamines, le PEN1 recrute ses membres dans le même terreau que les groupes punk hardcore leur public: dans la classe moyenne blanche et ses ados désoeuvrés. En mêlant philosophie, écoeurement politique, violence machiste vaguement tribale et nationalisme, le gang est un voyage direct pour les sensations fortes. Sous l’égide de son nouveau chef, il faut désormais tuer quelqu’un pour faire partie de la famille.

Démantelé en 2010 par la police d’Anaheim qui profite du travail d’un journaliste du OC News, R Scott Moxley, le gang ne semble plus actif aujourd’hui, la plupart de ses membres ayant été emprisonnés à vie ou exécutés. Le souvenir (récent) des exactions de ce gang ultra violent et raciste est très vivace dans les mémoires californiennes et explique sûrement la violence de la réaction du public punk au concert de janvier dernier. La population de Long Beach s’est violemment opposée à la récente proposition de recensement des musulmans de Trump et semble vouloir plus que jamais tourner la page de cette drôle de période de son histoire. Reste une mythologie malsaine qui continue d’alimenter les séries TV (dont Gangland) et probablement ce qui reste de mémoire à quelques “meth heads” perdus dans des motels à 30$ la nuit. 

 

Je remercie ici le travail du journaliste Brian Addison du Long Beach Post qui a pu alimenter le fond de cet article. 

Si les histoires de gangs de rue vous intéressent, je vous conseille de lire No Angel de Jay Dobbins, un flic infiltré chez les Hells Angels californiens, paru chez 13e Note et qui se trouve facilement en bouquinerie. 

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