Ceux qui dormaient très profondément (on les comprend) sont peut-être passé à côté du fait que Le Gospel est désormais une maison d’édition qui a publié 6 livres en un an. Pour fêter cet anniversaire, nous avons invité trois projets dont on aime la musique que les gens qui les composent à venir jouer pour une petite soirée à Paris. Et histoire de boucler la boucle, on leur a proposé de parler des livres qu’ils aiment en ce moment.
SOL HESS
La Mer de la Tranquillité, d’Emily St. John Mandel
Le dernier roman d’Emily St. John Mandel est un récit de SF intimiste dans lequel les vies et les destins des personnages sont profondément interconnectés au travers des temps. Voyage temporel, pandémie, simulation de la réalité… là où l’anxiété de ces thèmes pourraient prendre le dessus, on se retrouve au contraire avec un livre qui rassure et panse nos plaies d’âmes solitaires. Au travers d’une structure totalement ingénieuse, Emily St. John Mandel nous dit qu’on ne sera jamais tout à fait seuls.
MARIE DELTA
Livres de chevet de toujours :
La terre nous est étroite, Mahmoud Darwish
Le rocher et la peine, Fadwa Touqan
Livre de chevet actuel : Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui (Editions Point Poésie), choisis et traduits par Abdellatif Laâbi, textes réunis par Yassin Adnan
La veille du 7 octobre, une amie m’a offert l’anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui. Le massacre commis par le Hamas sur les israéliens le 7, puis le génocide des palestiniens à Gaza et en Cisjordanie m’ont plongée dans un gouffre émotionnel, de tristesse, de colère et de désespoir aussi, car j’ai une relation intime avec la Palestine mais aussi avec Israël. Des filles que j’ai rencontrées et filmées ne peuvent plus s’exprimer librement, certaines sont harcelées en ligne, c’est un moment très grave et très violent. Un espace dans mon esprit et dans mon cœur s’est réouvert immédiatement. On parle beaucoup de territoires, mais il y en a un très puissant, c’est l’espace d’une culture dans nos esprits, grâce à la littérature, aux films, à la musique. Je lisais beaucoup Mahmoud Darwish et Fadwa Touqan (Le rocher et la peine) quand j’ai tourné mon documentaire sur des femmes palestiniennes, et j’ai eu envie de me connecter de manière spirituelle à ce territoire mental ouvert par la poésie palestinienne, qui appelle un peuple et une terre physique très meurtrie en ce moment. Face à toutes ces horreurs, le livre offert la veille des massacres me permet de me raccrocher à l’humanité. La poésie de cette anthologie que je lis inscrit une mémoire de la Palestine, c’est le chant d’une sensibilité, d’une langue, d’une sensualité, d’une terre. On lit les rêves des auteurs, leur lutte aussi pour dire leur identité. Mahmoud Darwish parle de ses amantes, du café, de sa mère, de la mélancolie aussi de ne plus avoir accès à sa terre, Rajaa Ghanim dans l’anthologie parle de désir et de sexe, elle compare les corps à des arbres, c’est vraiment magnifique. En ce moment je me dis que la poésie que je lis, c’est aussi le moyen de réparer ma sensibilité. Tous les jours comme beaucoup, je vois les atrocités de la guerre sur mon téléphone, je n’avais jamais vu en direct sur mon téléphone autant de brutalité sur les corps humains. Je me dis que quelque chose est en train de basculer, que l’on perd encore un bout d’humanité. En ce moment, la poésie palestinienne me permet de ré-humaniser l’humanité, c’est le seul moyen que j’ai trouvé.