La pire nuit #3: Noyades « je me sentais vieux comme si j’étais Jeanne Calment, malade, niqué physiquement comme jamais »

En cette drôle de période, où on ne peut ni sortir, ni voyager et encore moins partir en tournée, j’ai proposé à des groupes que j’aime de me raconter « leur pire nuit, le pire endroit où ils aient dormi en tournée, dans un esprit ‘Trip advisor de l’enfer’ ». Je n’imaginais pas ouvrir la boîte de Pandore.

Troisième épisode avec les aventures du trio kraut punk hardcore Noyades au Portugal. Spoiler: ne faites jamais confiance à un rasta blanc. La discographie du groupe est disponible par ici. 

 

Cher Gospel,

pour ton article, j’aurais pu te raconter la fois où je me suis fait piquer dans mon sommeil par un insecte non identifié dans un célèbre squat toulousain, puis comment mon bras a triplé de volume les jours suivants. En plus c’était pas longtemps après que Jeff Hanneman de Slayer soit mort des suites d’une piqure d’araignée, donc c’était des barres. (Pour info, les mecs de Slayer ont quand même fait un post avec une photo en mode « hey regardez le bras de Jeff heuuu mdr il est tout violet » et en fait  le mec est mort genre deux semaines après).

Ou alors cette fois où un chat a vomi sur le tapis à 20 cm de la tête du batteur de mon groupe pendant une nuit, dans l’appart d’un groupe de glam-heavy, en Espagne. Ou quand à Poitiers, on a dormi après une soirée S.K. Records avec Totale Eclipse et Société Etrange dans un appart vide en plein hiver par 5 degrés et qu’un gars de Société Etrange a pris un truc qui ressemblait à un morceau de banquette de 205 GTI qui trainait pour s’en faire un oreiller: ça c’était trop bien.

               Des fois en Espagne tu mets une chaise à coté d’un banc, et hop t’as un lit.

                   Avec une petite housse de guitare dessus ça te fait même un matelas

Mais ce qui est encore mieux, c’était pendant la dernière tournée au Portugal, dans le centre de Porto après une date géniale à Santo Tirzo, LE PIRE ENDROIT OÙ ON N’A JAMAIS DORMI.
Deux jours avant cette date, notre van a eu la bonne idée de lâcher sur l’autoroute au fond de la Galice. Le garage dit que le camion doit rester au moins 10 jours en Galice : problème, il reste que 3 dates, ensuite on doit tous filer en France.
On est « déter » de continuer, et l’assurance nous encourage et nous propose de nous prêter son plus gros véhicule………………………………………………………………………. une Golf. UNE GOLF PUTAIN.
On est trois plus notre driver Raoul Vignal (célèbre chanteur folk rock) et on est un groupe de rock, avec des gros amplis tout ça, mais on se démerde, et on repart, avec le max de backline, 3 places et demie dans la Golf et une sciatique pour celui qui est derrière au milieu.

On a la tête dans le cul parce que le soir où on a été bloqué sans voiture, on a tué l’ennui avec des tapas, du rhum, des liqueurs galiciennes au café et des champignons hallucinogènes puissants dans le centre de Orense. Cyril a vomi 7 fois, Jessy et Raoul ont mimé une bagarre avec des vrais couteaux à 4h du matin dans la rue (meilleure idée quand t’es déchiré……) et on a failli se faire arrêter suite à un contrôle parce que j’ai insulté des flics (c’était la première fois que je prenais des champignons : je savais pas qu’on avait plus de filtre de parole après). Raoul a géré avec eux. Comment? Je ne sais plus mais il a fait le boss, et on a pu rentrer.
Bref, on était ultra abimé mais on a continué. C’était rock.

On reprend les concerts, au Portugal. Par un jeu débile de dominos , on s’est retrouvé à annuler un hébergement pour la date qui arrivait, parce qu’on pensait annuler la tournée mais finalement non.
Et là du coup, on met un SOS sur les réseaux sociaux « on ne sait pas où dormir à Porto » et on nous recommande au bout d’un moment un squat de rastas blanc.he.s brésilien.ne.s. Un pote de quelqu’un aurait joué la bas et aurait été bien reçu. Quelques coups de fils plus tard, l’affaire est pliée: on doit jouer puis filer au squat. Pas besoin de message avant, on arrive, on appelle.

On est éclaté mais le le concert est mortel (putain un lieu underground dans les sous-sols d’une banque HSBC j’en reviens toujours pas). On trace sagement après le show mais ça joue très tard au Portugal et il est 2h du mat au moment du départ, puis à 03h15 ENFIN après avoir drivé et garé la caisse dans un parking gardé : on arrive au squat.
Il fait une drache de fou, des trombes d’eau, vraiment et on n’est pas à l’abri.

Pas de sonnette, j’appelle.
Une fois. Il répond: pas c’est normal, il est 3h15, il fallait qu’il attrape son phone.
2 fois, 3 fois : c’est normal, il va se réveiller.
4 fois, 5 fois : bon, il fout quoi ?
6, 7, 8 fois : ok donc en fait le mec est en train de dormir ?
Il drache toujours, de ouf, on est tous trempé jusqu’à l’os, nos futals, vestes, sacs et pompes pleins d’eau.
On est en février.

9, 10, 11, 12ème appel : putain si il décroche je le défonce au téléphone.

13, 14ème appels : putain d’enfoiré de rasta blanc de merde va te faire foutre.

On est dans la rue, tout le monde a compris que personne n’ouvrirait, il fait 8 degrés, on est éclatés, 2 sur 4 ont encore de la fièvre de la maladie qui a tourné dans le camion depuis 8 jours.
A ce moment, on a été tout proche de la rupture. Jusqu’ici on avait eu un putain d’esprit détaché par rapport aux emmerdes mais là c’était le coup de trop.

Il est 3h35 du matin, on est trempé jusqu’à l’os à Porto, rues désertes, on peut même pas s’entasser dans la Golf jusqu’à la prochaine date puisqu’elle est à San Sebastian au Pays Basque. Sans dormir c’est du suicide. En plus, on doit repasser à Fero Bar à Porto pour poser la tête d’ampli que j’ai emprunté (oui en plus ma tête a brûlé pendant la tournée).

Finalement, on a réussi à joindre José, le gars à qui on devait rendre la tête d’ampli, on lui a filé ça à 4h du mat. Il ne dormait pas, et il a tellement eu pitié de nous qu’il nous a fait rentrer dans son salon. J’avais jamais connu un truc aussi extrême.

Le lendemain (enfin, 4 heures plus tard….) on était dans la voiture pour un drive de 9h en golf toujours jusqu’à un bar où ça fumait plein de shit et les portes grandes ouverte en quartier résidentiel au Pays-Basque. Puis rebelote le lendemain jusqu’à Saint-Etienne. Enfin, Raoul et moi on a pu être que deux pour ramener la caisse à Paris le dimanche soir à 23h.
On était remonté de Porto à Paris en 36h , avec un concert au Pays Basque, 4h de sommeil et un passage par Saint-Etienne pour poser le matos.

Le lundi matin, j’ai pris 2h pour réfléchir à ce que j’étais en train de faire de ma vie.
Je me sentais vieux comme si j’étais Jeanne Calment, malade, niqué physiquement comme jamais.
Je me suis dit que si on avait pas splitté là, on ne splitterait jamais, mais bon, ça sentait moyen la victoire pour autant.
Je me disais aussi que toutes ces conneries d’articles de Gonzai ou de Noisey sur la mort du rock, c’était visiblement écrit par des gens mal renseignés qui n’ont jamais foutu les pieds dans une tournée d’au moins 10 jours.
Et puis, en fait,  j’ai dû arrêter de bader et ouvrir mon ordinateur pour bosser, j’organisais un festival qui s’appelait l’Espace Barré 10 jours après. Mais dans le fond c’était peut-être tant mieux. On dormira quand on sera mort. Ou pendant le confinement.

Le petit bonus de cette (trop longue) histoire c’est que je me demande si on n’a pas eu le Corona virus pendant la tournée parce qu’on s’est fait sécher tour à tour par des fièvres de bâtard, toux, courbatures et perso problèmes respiratoires. Si c’était ça, je serais heureux, ça voudrait dire que c’était probablement la tournée la plus rock de ma vie. Et même si c’était pas ça on se fout on le dira quand même, l’histoire sera encore plus rock.

Vince

 

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