En 1995, les Red Hot Chili Peppers flinguent leur carrière en se roulant des pelles

Dans les années 90, j’étais complètement fasciné, comme beaucoup de gamins de mon âge, par les clips américains. Là où la plupart des vidéos des artistes français étaient moches et ternes, ceux des groupes de la génération “alternative” (comprendre post Nirvana) étaient couvertes d’un vernis rutilant et de couleurs pop assez magnifiques (un peu comme les filtres Instagram si vous voulez). Si vous êtes nés après 1991, n’hésitez pas à regarder ceux de Heart Shapped Box de Nirvana, Black Hole Sun de Soundgarden ou 1979 des Smashing Pumpkins pour comprendre de quoi je parle.

C’est d’ailleurs avec un clip, celui de Warped, le premier single issu de One Hot Minute que je suis vraiment tombé dans la musique des Red Hot Chili Peppers. Jusqu’ici je les avais réduit aux post hippies un peu chiants de Under The Bridge. Ce titre et l’album qui va avec ont marqué une rupture dans la carrière du plus gros groupe américain de l’époque et peut être regardé a posteriori à la fois comme un accident industriel et comme un symptôme de ce qui a fait des années 90 une époque finalement pas si cool que ça.

Revenons à nos piments. Avec BloodSugarSexMagik, disque que j’avais donc moyennement apprécié, les funksters de Los Angeles deviennent un groupe ENORME. John Frusciante, guitariste et l’âme artistique du groupe, vomit cette nouvelle célébrité et la cohorte de ses nouveaux fans rednecks  à peine décrochés de leurs disques des Guns’ N Roses pour se trémousser sur Give It Away. Il tombe une bonne fois pour toute dans l’héroïne, quitte le groupe et finit reclus chez lui. C’est cette époque qui a été immortalisé par le documentaire Stuff de Johnny Depp, glaçante plongée dans la maison du guitariste déchu à l’allure de zombie et qui vit au milieu de ses ordures. C’est d’ailleurs l’incendie de cette pile de déchets qui réveillera Frusciante et le poussera à décrocher quelques années plus tard.

Le trio restant finit par convaincre Dave Navarro (échappé de Jane’s Addiction) de les rejoindre pour l’enregistrement de son nouveau disque. Kiedis enfin clean et Frusciante partit chasser le dragon sur les collines de Malibu, le groupe se retrouve sobre, dans une impasse en studio, incapable de retrouver le songwriting magique de son guitariste démissionnaire. Il faut ajouter à cela l’apport de Navarro, à l’approche très différente de celle de la section rythmique du groupe. Le gratteux à l’allure de Dieu mexicain gothique vient du metal et du rock’n roll psychédélique et goûte très peu les secousses funk de ses nouveaux compères. Bon an, mal an, le disque se termine et les Red Hot Chili Pepperssont prêts à entamer la promotion de One Hot Minute en 1995.

C’est donc avec Warped que le groupe choisit de lancer les hostilités, contre les conseils de sa maison de disque. Le titre est violent, abstrait, sans refrain, pas loin d’un Devo malmené par des influences néo metal (ne fuyez pas). Mené de mains de maîtres par Navarro, ce premier single est aux antipodes des attentes du public bovin qui a adoré BloodSugarSexMagik. Le clip qui l’accompagne (voir plus haut) réalisé par le beau frère de Flea, Gavin Bowden, met en scène les quatre musiciens en cuir, maquillés, couverts de chaînes et voit même Kiedis et Navarro se rouler une pelle. Un baiser qui en annonce un autre. En octobre 1995, Flea et Navarro se font un smack (tout à fait anodin) sur la couverture de Guitar Magazine. La publication est refusée par un grand nombre de magasins, voire rangée au rayons porno. Le scandale est énorme et la fanbase des Red Hot boude le disque qui vend exactement moitié moins que son prédécesseur, malgré une solide power ballad, My Friends marchant dans les pas de Under The Bridge.

One Hot Minute pourrait être résumé par la phrase introductive de ce titre “my friends are so depressed”. Marqué par le départ de Frusciante (arrivé quelques années avant pour remplacer Hillel Slovak, déjà terrassé par une OD d’héroïne), les décès de Cobain et River Phoenix (très proche du groupe), le groupe sort avec One Hot Minute son disque le plus sombre et déprimé. Kiedis y confesse sa rechute après cinq années sans drogues dures, et glisse entre les morceaux quelques passages spoken words qui sonnent comme un appel à l’aide. Sommés de s’expliquer sur ces baisers innocents, jugés comme une provocation, le chanteur rétorque à MTV l’année de la sortie du disque “on ne veut pas vivre selon les préceptes d’une société qui juge ce qui est acceptable ou non quand on est hétéro. J’aime Dave, et je ne vais pas m’empêcher de l’embrasser sur la bouche parce que certains jugent ça choquant.” 24 ans plus tard, ça peut sembler ridicule mais on peut juger le chemin parcouru, dont ce groupe superstar aura à sa façon contribuer. Fuck you asshole You homophobic redneck dick You’re big and tough and macho You can kick my ass So fucking what chante le groupe sur  pour faire le tri définitivement avec une partie problématique de son public. Ce sera chose faite le temps de cet album, vilain petit canard d’une discographie qui reprendra le chemin des stades avec le retour au bercail de Frusciante quelques années plus tard.

 

Article initialement paru dans le zine papier Gospel #2 désormais épuisé. 

 

 

 

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