« Rien ne choque plus que de lire sa propre voix : elle est profondément étrange à nous-même »

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Sur l’écriture des Carnets de l’underground

Quand j’ai commencé à écrire les Carnets de l’underground, j’étais convaincu que je créais une forme nouvelle qui n’avait pas de précédents. Okay : au départ, je ne pensais pas les publier, j’envoyais des updates à mes ami·es. C’était la première fois que je sentais que les récits que j’écrivais avaient du potentiel, et ce feeling était aussi fort qu’une drogue dure, j’étais lâché high devant mon ordinateur avec la capacité de m’exprimer, et je ne refroidissais pas après l’écriture puisque mes lecteur·ices appréciaient mes textes, m’en demandaient plus. J’ai répondu à l’appel, écrivant plus d’une soixantaine de récits de clubs en l’espace de deux ans, pas tous bons, certains aujourd’hui laissés de côté parce que j’ai essayé d’écrire un roman au Berghain, roman du Berghain, mais regardant ces textes aujourd’hui je vois bien que je suis mieux d’écrire sans préméditer la forme. Les tapant sur le clavier de mon ordinateur et de mon cellulaire au rythme d’un texte par semaine (aussitôt partagé avec une photo qui avait déclenché mon souvenir), je racontais avec aucune pression sociale ce que j’avais vécu, avec le ton que j’utilise, celui, surtout, que j’utilisais par textos, moi qui ai longtemps raconté ma vie sur MSN et sur Messenger. Rien ne choque plus que de lire sa propre voix : elle est et restera profondément étrange à nous-même, comme lorsqu’on envoie sa voix sur une enregistreuse. Mais je n’avais pas à me relire, je pouvais mettre la switch d’influences et de longues études littéraires à off, juste, écrire. Ça a été magique. 

Bon, aujourd’hui, il est impossible pour moi de dire qu’il n’y a pas d’influences dans le texte. J’en nommerai quelques-unes : Koltès, que je cite sans citer, c’est dire l’importance qu’il a pour moi, je crois que mon écriture sera toujours un hommage à son impétuosité. Les canadiens Geneviève Petterson (La déesse des mouches à feu) et Nick Comilla (Candyass) : pour m’avoir appris que la littérature peut dire les choses, sans frein. Bukowski parce qu’il est désagréable. Bret Easton Ellis, la prose est incroyable et il écrit ce que j’ai envie de lire. Pour finir, les lais et les fabliaux du Moyen Âge, qui sont des genres capables de catégoriser les Carnets, avec la brièveté de leur trame, le merveilleux, l’amour et l’humour. Sans les avoir à la main quand j’écrivais mes courts récits, je sens bien leur présence dans les lignes, car je reviens toujours à ces auteur·ices qui m’ont révélé ma sensibilité littéraire. Guillaume Dustan, je l’ai lu après avoir publié mon livre, mais évidemment j’ai commis du plagiat sans le savoir, mon cerveau est allé chercher ses œuvres dans un univers parallèle lors d’un high de kéta.  

L’écriture des Carnets en est une effrénée, qui ne se relit pas, qui n’est surtout pas là pour avoir un regard critique sur elle-même (les photos sont interdites de toute façon, dans ce monde avec presqu’aucune autre loi…),  elle est une écriture du moment, du garçon qui veut s’ériger en mythe, parodiquement, elle en est une qui aime se perdre en elle-même, SURPRENDRE : c’est la leçon du film Ratatouille, Surprise me, dit le critique français quand il commande son repas trois étoiles Michelin. Les Carnets, c’est une écriture du temps, de ce temps béni qui est parvenu à s’abandonner aux plaisirs, à ce temps qui résiste aux injonctions à réussir, à bucher sans cesse. C’est une écriture qui ne parvient pas à rompre totalement avec le regard analytique, une écriture qui se regarde autant qu’elle regarde les autres, qui n’intervient pas toujours mais qui voit. C’est une écriture d’un exil géographique et individuel, partir ailleurs et voyager en soi, et pour cette raison c’est la naissance d’un auteur, la mise au monde d’une parole, d’un désir de s’exprimer. Je me sentais pris avec la peur de décevoir mes parents (« Envoyez pas ça à ma mère ») et je tentais de résister à l’écriture universitaire, sorte d’ombre qui, lorsque mal abordée, peut engouffrer. Écrire les darkrooms, c’est ouvrir la lumière sur elles, leurs rêves et leurs protagonistes, leur intimité révélée. C’est mon wake-up call d’artiste. 

GABRIEL CHOLETTE 

 

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