Un livre dévoile la correspondance de l’icône Lizzy Mercier-Descloux

Il est difficile de se dire que Lizzy Mercier-Descloux a disparu depuis presque 20 ans tant sa musique comme sa silhouette à la grâce fiévreuse et hédoniste semblent épargnées par la gifle du temps. Re-découverte par les Anglo-Saxons il y a quelques années à la faveur d’une réédition de son album Press Color et du joyau Dada disco-punk Fire, Lizzy Mercier-Descloux n’a eu de cesse depuis d’influencer un paquet de musiciennes inspirées par son approche frondeuse, presque brute de la musique, sa liberté d’expression qui la placent à équidistance de la pop et de la musique outsider et un parcours cabossé qui ont fait d’elle une véritable légende punk. La longévité de cette figure flamboyante s’explique probablement aussi par son incarnation d’une époque de tous les possibles, qui aura vu la jeune Française traverser le monde en tous sens, du New-York de Patti Smith et Richard Hell au mythique Compass Studio de Nassau (Bahamas).

Après une première monographie très réussie écrite par le journaliste Simon Clair, Lizzy Mercier-Descloux, une éclipse, la chanteuse française est aujourd’hui au centre de Don’t Take Care of Yourself, un ouvrage rassemblant sa correspondance avec Christine de Lustrac, une amie française, s’étalant entre 1974 et 1983, et assemblée par la fille de celle-ci et la maison d’édition ISTI MIRANT STELLA. Un objet magnifique qui donne l’impression d’être tombé d’un carton, enrichi de dessins, collages, lettres manuscrites, Photomaton et qui donne une vision inédite de la vie intime d’une artiste totalement insoumise aux carcans de la société et du monde artistique de l’époque. Des textes bourrés de poésie et d’une langue « fracturée » (pour reprendre l’expression des éditeurs) en droite lignée de sa production musicale.

J’en ai profité pour poser quelques questions à Chloé , l’une de ses éditrices donc, par mail.

 

Comment et quand est né ce projet ? Quelle était votre idée et peut-être l’impulsion première ?

Christine m’a confié ces lettres après la disparition de Lizzy. Ça faisait des années qu’on avait le projet d’en faire un livre sans savoir quelle forme lui donner. C’est en relisant la correspondance que j’ai compris pourquoi on y tenait tant. Lizzy écrit en 1983 : « Faisons un livre ensemble. Nos lettres suffiraient presque, mais c’est notre proper way of warming up. »

Le projet a pris forme quand j’ai rencontré Julien de la maison d’édition ISTI MIRANT STELLA. Je lui ai parlé des lettres, je lui ai fait lire quelques extraits. Il a tout de suite compris l’intérêt de cette correspondance, il s’est immédiatement « imbibé » (je cite Lizzy !) de l’écriture de Lizzy, de ses références, de ses jokes, de ses images. Surtout, il a accepté mon envie première d’en faire un livre plutôt rattaché au domaine littéraire que musical ou visuel. Même si finalement l’objet se situe entre les deux.

 

Comment avez-vous abordé ce travail d’archivage ? Était-il complexe ou au contraire le montage du livre s’est-il fait de manière fluide et naturelle ?

La correspondance confiée par Christine est beaucoup plus importante que ce qu’on a décidé de publier : avec Lizzy, elles se sont écrit depuis leur première véritable rencontre (elles étaient dans la même école, mais ne sont devenues amies qu’à 17 ans) en 1974, jusqu’à la disparition de Lizzy en 2004.

Pour le livre, on était d’accord pour se concentrer sur la première période, au moment où leur relation est fusionnelle, quand Lizzy découvre New York, qu’elle commence à faire de la musique et qu’elle échange intensément avec Christine. On reprend presque toutes les lettres entre 1974 et 1977. Le plus difficile a peut-être été de choisir le point de départ – les premiers mots échangés nous semblaient un peu cryptiques. Le travail de transcription nous a aussi posé quelques difficultés : dans sa forme, l’écriture manuscrite de Lizzy est souvent inventive, et pas toujours simple à décoder.

La fin du livre a été dictée par la fréquence des lettres elles-mêmes – Lizzy et Christine cessent presque totalement de s’écrire entre 1979 et 1983, après une brouille. La correspondance reprend vraiment en 1983 : Christine s’est mariée, Lizzy lui écrit « je pense toujours à notre livre, + tant à cœur. Commençons-le dès mon retour ». Et la dernière lettre correspond au moment où Christine est enceinte de son premier enfant. Lizzy écrit « Je pense à ces 3 mots en fin de lettre et mon cœur tangue entre chaque pont de l’île, avec vous, avec vous ». Après s’ouvre une tout autre période pour elles deux et leur relation.

Il y a une partie du livre qui touche à une certaine forme d’intimité. Pourquoi était-ce si important de la dévoiler ? Aviez-vous quelques garde-fous

Lizzy est très pudique dans les lettres ; si on a décidé de publier cette correspondance c’est justement parce qu’on avait le sentiment qu’elle ne dévoilait pas son intimité. Elle évoque ses amitiés, des personnes avec lesquelles on sait qu’elle avait des relations amoureuses, mais elle ne parle jamais de ses relations, ou alors de manière très elliptique.

Ce que les lettres disent, c’est le plaisir qu’elle a à écrire, à jouer avec les mots, à raconter des histoires, à s’approprier des références qu’elle partage avec Christine et à les invoquer, des souvenirs qu’elles ont toutes les deux sans en révéler le sens, à traduire son état d’esprit, l’atmosphère d’un lieu ou d’un moment. C’est aussi en ça à mon avis, que c’est intéressant : c’est un journal de création. Les lettres donnent un aperçu de ce qui la traversait pendant ces années où elle découvre New York et où elle commence à s’exprimer musicalement. C’est surprenant parce qu’elle parle peu de musique, mais la musique qu’elle crée à ce moment-là est totalement dans les lettres.

Pour ce qui la concerne, Christine n’a rien censuré. Toutes les lettres sont reproduites dans leur intégralité. Pour l’édition, ma première intention était de faire un livre de textes uniquement, sans images ! Parce que je voulais mettre un peu de distance avec la matérialité des lettres, qui me semblait justement plus intime, et que je voulais aussi que l’on puisse lire Lizzy comme une auteure, et non comme une musicienne dont on publierait les papiers. C’est Julien qui m’a convaincue d’inclure des images des lettres. Et comme on a tous les deux un grand intérêt pour tout ce qui relève de la correspondance et qu’on est des éditeurs de livres d’art par ailleurs, ça n’a pas été difficile de se retrouver là-dessus. On a fait la sélection avec le graphiste, Aurélien Farina (Paper! Tiger!). À cette étape, on était tellement plongés dans les lettres avec Julien que c’était bien d’avoir un regard extérieur.

Comment expliquer qu’aujourd’hui encore la fascination autour de la figure de Lizzy Mercier-Descloux est intacte voire décuplée ?

Tu es beaucoup plus à même de répondre à cette question que moi ! Et d’ailleurs ta réponse m’intéresserait. Mon rapport à Lizzy n’a été qu’un rapport personnel. Ce qui est étrange pour moi, c’est que je crois que sa personnalité, son aura, devraient fasciner encore plus ! Pour moi, enfant, Lizzy était la personne la plus cool du monde. Même si elle avait un style incompréhensible et qu’elle était un peu effrayante tellement elle était différente des autres adultes. Aujourd’hui j’admire particulièrement qu’elle ait été si versatile, qu’elle ne se soit complètement laissée séduire par personne dans ce milieu, qu’elle soit restée libre même si ça lui a coûté toute forme de confort. Je sens tout ça dans sa musique.

 

Pouvez-vous présenter la maison d’édition et quelques projets phares ?

La maison d’édition, ISTI MIRANT STELLA, date de 2014. Elle est née de l’envie de Julien de publier des choses à une toute petite échelle et en toute indépendance – principalement de la poésie contemporaine, mais aussi des projets inclassables, comme ce livre de Lizzy qui regarde du côté de la poésie Dada, du feuilleton parfois un peu hermétique et du mail art !

La musique a toujours été importante dans le catalogue de la maison d’édition. La première publication consistait même en une collaboration avec le groupe Belle Arché Lou, pour essayer de traduire sous la forme d’un livre, à partir d’archives personnelles, un long morceau instrumental. Un autre projet phare a été la réédition de Typographismes I, une plaquette du poète belge Christian Dotremont, parue en 1971 et introuvable depuis des décennies. C’était le premier travail mené en collaboration avec Julien, très différent du travail éditorial qu’on a pu faire sur le livre de Lizzy, mais étonnamment on a trouvé des similitudes assez heureuses entre ces deux œuvres !

Une soirée de lancement de Don’t Take Care of Yourself aura lieu samedi 1er juillet à Paris chez Balades Sonores, de 19h à 21h.

 

 

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