Nicolas Cage: « je suis un lézard, un requin, une panthère qui piste sa proie. »

A l’occasion du 5e Gospel ciné-club prévu le 5 juillet à l’Iboat avec Utopia et consacré à « Arizona Junior » des frères Cohen, nous republions cet entretien paru dans le 9e numéro du zine avec Lelo Jimmy Batista, auteur du livre référence sur Nicolas Cage. 

 

“Le fait qu’il passe son temps à expérimenter, à se mettre en danger, à foncer dans une direction alors que tout le monde va dans le sens inverse. C’est ça le sujet du livre. “

Lelo Jimmy Batista, auteur de Nicolas Cage, envers et contre tout.

 

Je ne sais pas si la vie est trop courte pour relire des livres mais elle l’est très certainement pour s’infliger des biographies d’acteurs, abécédaires de mouvements culturels et autres infernales discographies commentées. Nicolas Cage, envers et contre tout se place dans un territoire ô combien plus excitant, celui de la “story” à l’américaine, romanesque et très visuelle, format qui n’a jamais vraiment traversé l’Atlantique et qui a fait les beaux jours de Vanity Fair, Playboy, New Yorker et autres Time Magazine quand leurs auteurs s’appelaient James Baldwin, Joan Didion, Gay Talese ou Tom Wolfe. 

L’entreprise d’écrire sur Cage en 2023 est d’autant plus casse-gueule qu’elle intervient au moment où le neveu de Coppola est devenu une sorte de mascotte de la culture Internet, passée des forums Reddit aux médias de masses, qui semblent redécouvrir la viralité comme le fil à couper le beurre à chaque conférence de rédaction. Au moment où Keanu Reeves est officiellement nommé mec le plus sympa du monde parce qu’il porte ses propres valises et ne pelote pas ses fans, que faire de Nicolas Cage (sorte de Nemesis-meme Internet du héros de John Wick) qui s’auto définit ainsi : je ne suis pas un démon. Je suis un lézard, un requin, une panthère qui piste sa proie. Je suis un flux plus puissant que les ténèbres. Je suis un grand huit phosphorescent.” ? Tout simplement, plonger dans des étapes-clés de sa construction mentale et en faire l’acteur du scénario de sa vie, dont il ne suit le script que de manière lointaine à l’image d’une filmographie unique en son genre. 

Sans vouloir vous dévoiler les moments forts de l’existence de l’acteur et donc du livre, on y retrouve une réflexion entre les lignes sur la capacité d’expérimentation et de création d’un artiste cintré qui se débat dans les carcans industriels comme un cétacé dans les filets d’un pêcheur (vous apprécierez l’image après l’avoir lu) et qui s’applique ici et là aussi à l’écriture sur le cinéma défendue par Batista. Pour vous donner tout de même un avant-goût de son livre, je lui ai demandé de commenter quelques moments forts de la vie de Cage, entre films, apparitions publiques et légendes plus ou moins avérées. 

 

Fast Times at Ridgemont High- Amy Heckerling (1982)

Techniquement, c’est sa deuxième apparition à l’écran, il a fait un pilote de série pour ABC juste avant, The Best Of Times, qui n’a jamais été diffusé. Un truc très étrange, une espèce de version emo de Ferris Bueller avec des passages chantés – on peut le voir sur YouTube. Les producteurs l’ont repéré dans le cours d’art dramatique qu’il suivait au lycée dont il va claquer la porte juste après, pour aller courir les auditions. Il va pas mal galérer jusqu’à ce rôle dans Fast Times qui va s’avérer assez douloureux parce qu’il postule initialement pour un des personnages principaux et qu’il hérite au final d’un rôle déjà très secondaire à la base, qui va quasiment être supprimé du montage final – on ne le voit que dans deux ou trois scènes, souvent de dos et il n’a pas de dialogue. Le film n’est pas terrible, même s’il est très apprécié aux USA où le public lui voue un véritable culte – il a d’ailleurs été réédité par Criterion cette année. C’est un peu une version primitive et lourdingue de ce que fera Richard Linklater par la suite avec Dazed & Confused et Everybody Wants Some ou David Robert Mitchell avec The Myth Of The American Sleepover. Le film a servi de tremplin à pas mal de ses acteurs comme Sean Penn, Jennifer Jason Leigh ou Forest Whitaker. Mais Cage n’a pas du tout bénéficié de cette exposition. 

 

Arizona Junior- Joel Cohen (1987)

C’est un de ses meilleurs films mais il y a paradoxalement peu de choses à en dire : Cage trouvait le scénario parfait, il a supplié les frères Coen de le prendre et c’est le premier rôle de sa carrière où il ne se prend pas la tête avec son personnage et la façon de le jouer. Le scénario est tellement bon qu’il se contente de suivre les indications. Son seul apport, c’est le tatouage Woody Woodpecker et le fait que Leonard Smalls, le motard de l’apocalypse en ait un aussi. Il voulait qu’il y ait une connexion mentale entre les deux personnages. C’est le deuxième film que j’ai vu de lui. Le premier c’était Birdy, à sa sortie au printemps 1985, et que j’ai détesté – et ça ne s’est pas arrangé avec le temps. En revanche, Arizona Junior a été un choc énorme – pas du tout pour Cage mais pour le film dans son ensemble. J’avais l’impression qu’on me disait : « voilà, on peut faire ça, on peut présenter une histoire totalement crédible, carrée, et la raconter comme un dessin animé. » 

 

Interview on Wogan

Ça j’ai dû l’écarter du livre pour des raisons de longueur et de rythme – les livres de la collection Stories doivent rester assez courts et sur mon premier brouillon j’étais presque au double de la longueur maximale. Le chapitre consacré à Sailor et Lula se finit sur le dîner de clôture du festival de Cannes, où le film a remporté la Palme d’or. A l’origine, il y avait une dernière partie sur la promo du film, qui revenait sur trois épisodes, notamment celui-ci. La promo a été assez longue et Cage s’est totalement laissé happer par le truc – l’aspect hyper-excessif du film, mêlé à la hype délirante provoquée par la Palme d’or. Parfois ça donne des choses hilarantes comme ce passage chez Wogan où il fait des roulades, des kicks de karaté, jette de l’argent au public, hurle, se met torse-nu…. D’autres fois il fait des choses moins drôles comme de se faire passer pour le commandant de bord d’un vol commercial et d’annoncer dans le haut-parleur de l’avion qu’il vient d’avoir un malaise et que l’avion va s’écraser. C’est un des moments charnières de son parcours, il est au sommet et va connaître une dégringolade brutale et une grosse phase de remise en question.

Con Air-Simon West (1997)

Un moment complètement fou mais finalement assez cohérent de sa carrière. Il vient de recevoir l’oscar du meilleur acteur pour Leaving Las Vegas et enchaîne avec trois films d’action, The Rock, Con Air et Volte-Face. C’est cohérent parce qu’il veut toujours expérimenter, aller là où on ne l’attend pas et que le film d’action est un des seuls terrains majeurs qu’il n’a pas véritablement exploré. Des trois films, The Rock est le plus maîtrisé, le duo avec Sean Connery fonctionne parfaitement et le scénario est assez original pour l’époque – Cage et Connery interprètent des personnages très excentriques, les méchants menés par Ed Harris sont des militaires se rebellant contre l’armée américaine – et la réalisation de Michael Bay est encore à peu près lisible. Volte-Face est le plus dense, original et ambitieux, même si personnellement, je trouve qu’il a assez mal vieilli. Con Air en revanche, c’est de la connerie pure, aussi bien devant la caméra que derrière – et c’est ça qui le rend assez génial au final. Malkovich n’est là que pour l’argent, John Cusack déprime complètement, Jerry Bruckheimer le producteur est persuadé qu’il est en train de mettre sur pied un chef d’oeuvre et tous les gros bras du casting passent le tournage à faire des concours du plus grand nombre de pompes ou de tractions. Et Cage au milieu, qui comme d’habitude s’investit à 100 % dans son rôle, sans se soucier du reste. C’est un film qui résume au final assez bien le personnage.

La Quête du Graal

C’est un truc dont il a parlé à une interview et ça a été repris partout alors que ce qu’il dit est finalement très vague, très abstrait – mais le fait d’associer Cage et quête du Graal ça fait sens dans le récit un peu zinzin qui s’est construit autour de lui ces 15 dernières années. L’acteur un peu à la rue, ruiné par le fisc et les divorces qui accepte tous les rôles. La réalité est plus compliquée que ça et plus intéressante aussi, et c’était une des raisons de faire ce livre, de raconter comment un récit peut se fabriquer et être déformé par la masse, internet.

 

Adaptation- Spike Jonze (2002)

Celui là je le cite juste indirectement à un moment où j’énumère quelques types de rôles un peu extrêmes qu’il a pu tenir. Je ne l’ai pas revu depuis la sortie. Les années 2000 c’est la période la plus bancale et la moins intéressante de Cage. Il y a le premier Ghost Rider, le remake de Wicker Man et puis son apparition en Fu Manchu dans le faux trailer de Werewolf Women of the SS de Rob Zombie, mais globalement il faut attendre Bad Lieutenant pour qu’il bascule dans quelque chose de vraiment fascinant. Je vais revoir Adaptation bientôt ceci dit, parce qu’en parallèle du livre, je participe à un passage en revue de la filmographie intégrale de Cage pour Dis-Cor-Dia, un podcast créé par François Cau de Nanarland et Mad Movies, qui est également auteur de plusieurs bouquins, notamment sur Stephen King et Andrzej Zulawski. Au moment où je te réponds, on en est au 8e épisode et ça commence à devenir un peu compliqué avec des horreurs comme La Cité des Anges ou Capitaine Corelli. Mais l’exercice est assez drôle et on digresse beaucoup, ce n’est pas du tout un délire nerd ni même vraiment cinéphile.

 

Bad Lieutenant: escale à la Nouvelle-Orléans-Werner Herzog (2009)

Même si j’ai découvert Cage très jeune et qu’il a fait plusieurs films qui ont été importants pour moi comme Arizona Junior ou Sailor & Lula, c’est vraiment avec Bad Lieutenant que j’ai commencé à m’intéresser à lui. C’est la première fois que je voyais un film où il était absolument impossible de dire si on avait affaire à un chef d’œuvre ou un nanar. Généralement ça penche toujours un peu plus d’un côté que de l’autre. Là, il y a un équilibre parfait et ça tient essentiellement à la prestation de Cage. De là, j’ai commencé à revoir ses films précédents, à creuser le sujet et j’ai réalisé qu’il faisait ça depuis le début. Qu’il suivait sa propre voie, ses propres expérimentations. Ce qui m’intéresse chez Cage, c’est sa manière de travailler, son évolution, bien plus que ses films. Le fait qu’il passe son temps à expérimenter, à se mettre en danger, à foncer dans une direction alors que tout le monde va dans le sens inverse. C’est ça le sujet du livre. 

 

Nicolas Cage spotted visiting his pyramid tomb with mysterious woman (2020)

Sa fameuse tombe, qu’il a achetée il y a un peu plus de dix ans à la Nouvelle Orléans. J’aurais adoré écrire un chapitre autour de ça mais il existe trop peu d’infos sur le sujet, ce qui n’est pas plus mal, ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure sur le Graal, c’est bien de ne pas tout savoir, de ne pas tout dévoiler. La femme avec lui ça doit être Riko Shibata, sa dernière épouse. Elle est citée dans le livre, tout comme Lisa Marie Presley et Kristina Fulton mais je me suis surtout intéressé à Patricia Arquette. Leur histoire est plus importante, plus délirante, plus compliquée. Plus « Cage », quoi.

 

Prisoners of the Ghostland- Sono Sion (2021)

Cage pourrait bénéficier d’un petit retour en grâce prochainement grâce à des films comme The Unbearable Weight Of Massive Talent qui sortira au printemps prochain ou Pig, qui arrive en salles fin octobre. Je l’espère en tout cas, parce qu’il le mérite, même si ça a aussi un côté un peu agaçant. Dès que Cage joue sobrement comme dans Joe ou Pig, tout le monde crie à la résurrection alors qu’il fait la même chose que dans ses autres films. C’est juste qu’il est dans un registre considéré comme plus acceptable. En tout cas Pig est très bon et j’ai pas mal d’espoirs sur The Unbearable Weight Of Massive Talent. Prisoners of the Ghostland en revanche j’ai pas aimé du tout. C’est très beau visuellement comme souvent chez Sono Sion mais le mélange de post-apo déglingue et de comédie musicale à la Jacques Demy est insupportable. Surtout, Cage est dans son pire registre, celui où il joue consciemment le Cage internet, cet espèce de personnage de bois, grotesque, les cheveux teints, qui grimace, aboie ses répliques. Celui qu’on voit dans des films comme Wally’s Wonderland ou Jiu-Jitsu. C’est vraiment ceux-là ses mauvais rôles, bien plus que les direct to video comme Tokarev ou les nanars de luxe à la Dog Eat Dog. Parce que c’est le seul moment où il se trahit, où il fait exactement ce que le public attend de lui.

 

Nicolas Cage, envers et contre tout

par Lelo Jimmy Batista

Disponible chez Capricci

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