La pire nuit #5: Blackthread & Witxes « notre chauffeur est furieux: quelqu’un a essayé de lui écraser une clope sur le front pendant son sommeil »

En cette drôle de période, où on ne peut ni sortir, ni voyager et encore moins partir en tournée, j’ai proposé à des groupes que j’aime de me raconter « leur pire nuit, le pire endroit où ils aient dormi en tournée, dans un esprit ‘Trip advisor de l’enfer’ ». Je n’imaginais pas ouvrir la boîte de Pandore.

Pour ce cinquième épisode, voici deux souvenirs distincts de tournée de Blackthread et Witxes, qui ont sorti ensemble, sous le nom PGD/MV, un très beau disque d’ambient,  Morvan’, sur le label Past Inside The Present. 

J’ai eu  la chance de jouer dans des formules légères,  quelques quintet certes, mais surtout du duo ou solo. L’avantage c’est qu’il est plus facile pour un organisateur de te loger. Tu dors d’ailleurs souvent chez lui.
Je pense de ce fait avoir évité pas mal d’écueils, le réseau DIY est le plus souvent organisé et attentionné, malgré cela j’ai eu mon lot de ‘sleepings’ cocasses : salon des parents avec clown et collection dvd’s de Joséphine Ange Gardien, logement sans fenêtres en plein hiver, les souris, lit mezzanine pour enfant (je fais près d’1m90), les locaux de répétitions en sous sol transformé en dortoir, le conteneur rouillé avec des matelas au sol dignes d’un slasher movie.

Après un concert à Bruxelles où nous n’étions pas logés, nous n’avons eu d’autre choix que de rouler de nuit jusqu’en Hollande où avait lieu notre concert suivant.
Arrivés au milieu de la nuit, garés devant ce qui ressemble à des bureaux de zone industrielle, un type s’avance pour ouvrir le portail en faisant se toucher deux fils électriques. Ca promet.

Notre nouvel ami nous propose de le suivre à l’intérieur afin de nous guider vers nos pénates. Derrière la porte se situe à l’espace concert qui ressemble à … une mer de canettes. Sans mentir : le sol est recouvert de canettes plus ou moins écrasées et plates. Il y en a absolument partout.
Au bout,  se trouve l’espace qui nous a été attribué pour passer la (les) nuit(s). La porte s’ouvre. C’est un atelier d’artiste. Pots de peinture, solvants, sculptures en grillage, un lit pour un enfant de 8 ans avec des autocollants Bibifoc, des étagères, un sol en moquette imbibée, des tâches au sol diverses et variées. Il est tard, certains s’allongent  par terre, d’autres couchent des étagères au sol pour s’en faire des sommiers. Je termine dans le lit Bibifoc.

Au petit matin, quelqu’un à la bonne idée d’entrouvrir la porte de notre « sleeping » et des chiens commencent à courir partout. Nous serons définitivement tirés du lit par un bruit de machines outils provenant de la pièce d’à coté. Le tech son est en train de découper à la disqueuse la console de mixage et faire quelques soudures en prévision du concert du soir.

Nous resterons une partie de la journée à la piscine municipal:, on peut y prendre un douche, et c’est chauffé. De retour sur site, notre chauffeur est furieux, quelqu’un a essayé de lui écraser une clope sur le front pendant son sommeil. Barrière de la langue: on découvre qu‘un des habitants est, malgré son cuir, ses clous et sa crête verte,  fan de farces et attrapes. Il a aussi un faux marteau en mousse. (Je passe sur les chiens qui boivent de la bière à la cannette).
On joue avec un groupe de Heavy Metal Glam, qui attend un coup de fil important pour devenir gros au USA. Je sors de notre atelier d’artiste pensant voir la fin de leur concert, ils sont sur scène, certes, mais j’assiste à ce qui ressemble à une bataille de terre (tirée de pots de fleur), de bières et de polystyrène (arraché directement du plafond).

Le coin de scène ressemble à Verdun un jour de pluie. Show must go on.
(Etant arrivé la veille, il y aura donc une seconde nuit)

J’avais 23 ans.
J’ai très vite appris qu’en tournée mon sweat à capuche, mes boules Quiès et mon duvet sarcophage seraient non seulement indispensables mais aussi mes meilleurs amis.

Pierre Georges Desenfant

Le dernier album de Blackthread est disponible chez NAHAL Recordings.

 

C’était la dernière date de la première tournée avec mon projet Witxes, deux semaines à travers l’Europe avec l’artiste sarde Saffronkeira. Nous sommes arrivés à Halle an der Salle, en Allemagne de l’Est. On vient de traverser le pays dans un TER à l’intérieur duquel il a plu tout le long. A Halle, il pleut aussi, c’est gris et humide. Deux mecs taciturnes (et clairement défoncés) nous récupèrent à la gare dans leur voiture qui sent la mort, on traverse la ville et ses larges artères, vestiges de l’architecture communiste d’après-guerre. On arrive au lieu du concert, un espace autogéré dans un ancien bâtiment du rail allemand. Sur place, nous rencontrons notre hôte/programmateur. Je ne suis pas super à l’aise dans cet endroit: tout le monde a les pupilles sévèrement dilatées.

La salle où on va jouer est plutôt bien équipée, ce qui est rassurant, puisqu’après tout, c’est pour cela que nous sommes ici. Nous n’avons toujours pas quitté nos vestes. Nous posons le matériel et les bagages sur scène et le promoteur nous lance « venez, je vais vous montrer votre chambre ». Eugenio (Saffronkeira), me regarde avec le même regard interloqué que celui que je lui renvoie. Dormir ? Ici ? Sur le chemin, nous traversons la cuisine où notre hôte nous annonce qu’ils sont en train de préparer un repas vegan pour ce soir. Vegan ou pas, je pense que les probabilités de tomber malade en mangeant n’importe quoi venu de cette immonde cuisine sont de 99%. Nous montons à l’étage de la grande bâtisse et là, il semblerait que les gens soient encore plus défoncés – next level. On croise un tox qui marche comme un zombie dans les couloirs de ce décor digne de Trainspotting.

Le promoteur ouvre une porte et dit « voilà, c’est votre chambre ». Une forte odeur de draps visités maintes fois se dégage de la pièce, les matelas sont posés à même le sol, en désordre, à côté d’emballages vides de barres chocolatées et de cannettes de bière, il y a de l’eau qui suinte le long des murs, une sorte de fine mousse verte a même commencé de se développer par endroit. Etant donné que je suis une diva made in France, je lui dis qu’il est hors de question que je dorme ici et qu’il faut qu’il trouve une autre solution, je dis tout cela en ayant beaucoup de mal à garder mon calme. En tant que diva, je me sens un peu insulté. Le mec me dit que tout le monde est content de dormir ici d’habitude. Je lui explique ce qu’est une diva. Et Eugenio, avec ce geste stéréotypique italien, paumes et phalanges vers le ciel, en agitant ses mains, lui dit avec son fort accent sarde « this is no joke, this my fucking life ! I have a son and wife at home ! This is my life ». Le promoteur allemand nous prend pour des barges. Il ne comprend pas vraiment le problème.

Nous sautons le repas. Nous avons toujours nos manteaux. Il n’y a pas vraiment de green room ou loge, on reste debout sur scène en attendant les concerts, comme si nous avions peur de choper un truc en s’asseyant où que ce soit dans ce lieu. A ce moment de la soirée alors que n’avons même pas encore joué, on peut lire dans le regard de tous les membres de ce lieu qu’ils nous détestent. Nous jouons tôt, c’est un dimanche fin d’après-midi. Toujours avec nos manteaux. Ils détestent. Au-delà de leur public d’habitués, deux (2) mecs sont venus spécifiquement pour nous et nous demandent pourquoi nous jouons dans cet endroit dont ils n’avaient jamais entendu parlé et qui a l’air de les effrayer autant que nous (peut-être sont-ils des divas également?). « Vous avez du merch? ». Si on a du merch ? Ouais, sauf qu’on a même pas osé le sortir. Nous finissons par plier notre matériel, toujours en manteaux… Il est 21h30, une conférence anarchiste démarre dans la salle où nous venons de jouer, je lui annonce qu’on souhaite quitter les lieux immédiatement et qu’on espère qu’il a trouvé une solution.

A ce stade, je suis prêt à claquer nos cachets pour un hôtel, mais je ne lui dis pas pour voir jusqu’où tout cela va nous mener. Il a fini par nous inviter dans une brasserie cossue pour manger (là on comprend qu’il croit vraiment que nous sommes des divas de l’expé) et finalement nous emmène dormir chez une copine à lui dans un appart d’une propreté et d’une blancheur qui laisse supposer qu’un commando de nettoyage est passé pendant notre repas. Avant de nous laisser, il lâche une phrase pas très claire, mais qui laisse supposer qu’en gros notre tourneur local lui a forcé la main mais que lui n’organise d’ordinaire pas ce genre de concert ! Le genre de concert qui ne sert à rien, à personne, hormis peut-être à Eugenio et moi-même qui sommes devenus de très bons amis et collaborateurs. Et faire de la musique en famille dans un studio à 500m de la plage en Sardaigne, c’est autre chose…

Maxime Vavasseur

Le dernier album de Witxes est disponible ICI .

photo: Fred Oberland

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