Comment la City Pop est-elle devenue si populaire ?

Comment la City Pop est-elle devenue si populaire ?

Alice Butterlin

 

Le 3 juin dernier Haruomi Hosono, figure emblématique de la musique japonaise depuis les années 1960, se produisait en concert à Los Angeles suite à la sortie de son album Hochono House, relecture contemporaine de son tout premier album solo sorti en 1973. Le pionnier de la musique électronique nippone n’était pas seul sur scène ce soir là puisqu’il accueillait Mac DeMarco, un invité surprise pas si inattendu que ça. L’idole des jeunes millenials férus de pop easy listening n’a jamais vraiment caché son amour pour Hosono et le reste du Yellow Magic Orchestra ni pour tout un pan de musique japonaise apparue entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980 que l’on appelle communément la City Pop. Il sort même l’été dernier une reprise de Honey Moon  de Hosono sur le label Light in the Attic avant de boucler la boucle en rejoignant son idole sur scène pour l’interpréter à ses côtés. L’occasion rêvée pour se pencher sur le retour en puissance de la City Pop ces deux dernières années, un parcours semé de memes, de recommandations YouTube et de réappropriations douteuses.

Chacun a ses raisons pour s’être un jour intéressé à la City Pop mais l’une des plus courantes est sûrement la recherche de la provenance de beaucoup de samples triturés, ralentis et coupés utilisés dans la vaporwave. Ce sous-genre né au début des années 2010 sur Internet et mêlant funk, synthés aériens et sonorités fantomatiques d’un centre commercial aseptisé a captivé une certaine génération autant par son esthétique que son aptitude à synthétiser le malaise de la société sur-connectée. Comme le sea punk ou la witch house, ce courant a très vite été broyé, remâché et régurgité par la machine mainstream comme argument marketing. Quand MTV remodèle sa charte graphique et fait défiler dauphins, statues romaines glitchées et fenêtres d’ordinateur Windows 95 entre deux épisodes des Kardashians, la vaporwave est officiellement morte et enterrée, prête à devenir une caricature. Mais ses aficionados sont toujours connectés sur la webradio Nightwave Plaza et sont prêts à découvrir qui se cache derrière les mystérieux samples. C’est sur Youtube que se poursuit l’histoire, où fourmillent des milliers de titres et albums de City Pop sur lesquels les curieux se sont mis à cliquer frénétiquement.

Le mystère entourant l’incroyable succès du titre  Plastic Love  de Mariya Takeuchi, qui cumule 25 millions de vues sur YouTube, reste encore intact. Comment un titre, bien que mainstream au Japon dans les années 1980 mais inconnu du reste du monde est-il parvenu à toucher autant d’utilisateurs ? Sortie de nulle part, la figure rieuse en noir et blanc de Mariya Takeuchi était soudain dans toutes les barres de recommandations sans aucune raison apparente. Le fonctionnement des algorithmes YouTube ne s’explique pas facilement et nombreux sont ceux à avoir tenté d’y voir plus clair, de Reddit à 4chan. Ce morceau de pop groovy à la mélodie entêtante a fédéré toute une communauté virtuelle qui découvrait par un hasard forcé la puissance émotionnelle de la City Pop. Takeuchi fut vite érigée comme porte-étendard du revival, son visage transformé en memes. D’abord postée par le compte « Sona Main », la vidéo se fait retirer du site mais un autre utilisateur du nom de « Plastic Lover » l’upload une seconde fois en juillet 2017. C’est cette vidéo qui atteindra les 25 millions de vues avant de se faire… encore retirer par Youtube, cette fois pour une affaire de photographe non crédité. En effet, c’est Alan Levenson qui est derrière le portrait devenu mythique de la star japonaise et il entend bien ne pas se faire éclipser de ce buzz mondial. Suite à la disparition de Plastic Love , les fans harcèlent et menacent Levenson, outrés de ne plus pouvoir écouter en boucle leur nouvelle chanson préférée. Aujourd’hui, elle est réapparue sur YouTube et continue de squatter vos barres de recommandation que vous le vouliez ou non. 

De septembre à mars dernier, le générique de l’émission Quotidien, pas franchement connu pour être prescripteur de tendances, n’était autre que la chanson Say Goodbye de Hiroshi Sato. Un morceau de funk ensoleillé ponctué de vocoder, carte postale imaginaire d’un voyage en train à travers le Tokyo des années 1980. L’album Orient de Sato, sorti en 1979 a d’ailleurs été réédité sur le label We Want Sounds l’année dernière face aux prix exorbitants auxquels s’élèvaient les pressages originaux de ses disques sur Discogs. Light in the Attic s’est aussi emparé de la folie nippone qui anime la toile en proposant un grand nombre de rééditions mais aussi une compil réunissant une sélection plus pointue de City Pop, Pacific Breeze, sortie en mai dernier. S’il y a une figure emblématique du genre à retenir c’est Tatsuro Yamashita, son compositeur et producteur le plus prolifique et accessoirement le mari de Mariya Takeuchi avec qui il a longtemps collaboré. Si certains réfutent le caractère « mainstream » de Tyler the Creator, le succès immédiat de son dernier album Igor prouve bien sa popularité et son statut d’icône d’un nouveau rap. Dans son morceau Gone, Gone / Thank you , sorte de post-RnB où sa voix pitchée rappelle la pop californienne des Beach Boys – qui ont eux-mêmes influencé de nombreux musiciens japonais des 70s – on peut entendre un sample de la chanson Fragile  de Yamashita parue sur l’album Cozy en 1998. Et, sans surprise, sous la vidéo du morceau sur YouTube on retrouve plusieurs « Like if you’re here from Igor » .

Forcément ce retour de la city pop a donné envie à plus d’un musicien et producteur opportuniste d’en livrer sa version actualisée. La Corée y a plongé la tête la première avec la pop star Yubin, anciennement membre du groupe Wonder Girls, et ses titres étrangement similaires à des tubes sortis 40 ans auparavant. Son premier album en solo, tout bonnement intitulé  City Woman  a causé la controverse suite à un des morceaux, un peu trop calqué sur  Plastic Love  de Mariya Takeuchi. Ses clips ne font pas dans la subtilité en multipliant les références appuyées aux années 1980 – mini robes à épaulettes, permanente, qualité VHS – et à l’esthétique urbaine artificielle de la City Pop si bien retranscrite à l’époque par des illustrateurs comme Hiroshi Nagai et Eizin Suzuki. Le fait que JYP Entertainment, l’une des plus grandes maisons de disques de K-Pop décide d’axer sa stratégie sur ce genre de musique japonais plus que daté en dit long sur l’emprise de la City Pop sur le monde. Même si, avouons-le, copier le Japon semble être un sport national au pays du matin calme.

Engouement post-vaporwave, la city pop semble donner bien plus que des mélodies entêtantes à ses nouveaux auditeurs qui y trouvent une nostalgie artificielle et un sentiment de bonheur indescriptible. Cette musique provenant d’une époque où le Japon vivait un boom économique et un développement technologique sans précédent, traduit une certaine insouciance perdue, un souvenir qu’aurait aimé détenir la plus jeune génération. Heureusement la réalité virtuelle nous permettra bientôt de retourner vers le futur pour de bon et constater que les walkmans et les patins à roulette ne rendaient pas les gens plus heureux.

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