Les membres de Death grips jouent-ils torses nus quand il fait froid?

C’est assez fou la vitesse à laquelle on s’habitue aux choses désagréables. Par exemple, rentrer dans un festival de musique « alternative » et se retrouver avec un règlement intérieur encore pire que celui de la prison d’Oz. En débarquant au Field Day Festival à Londres, je ne m’attendais pas spécialement à me balader dans un territoire de douce permissivité. Mais après un premier séjour en avril dans la capitale anglaise, j’avais redécouvert une ville ouverte, chaleureuse et stimulante qui semblait fêter tranquillement la fin de notre époque avec une pinte de bière et un blunt aux lèvres. C’est globalement dans ce genre d’ambiance que s’est déroulée ma grosse après midi de concerts dans ce festival.

Le site, nouveau cette année, ressemble un peu aux Nuits Sonores,  (mais y a pas Laurent Garnier ), en plus champêtre et en plus petit, posé à côté d’un Ikea (on y reviendra). Les petites scènes (4) sont réparties dans des hangars (je crois qu’on dit « warehouses » maintenant) et la grande scène est posée dans un champ de foin. Après une fouille plutôt studieuse, on se retrouve devant le premier concert de la journée, celui de Homeshake, dont la version slowcore de Sade convient parfaitement à ce début de festival. Alors que son ancien boss Mac de Marco aura fait le tour du cadran musical en moins de temps qu’il ne faut pour dire gentrification, passant d’un indie rock vaguement provocant à de la musique d’ascenseur post burn out chiante comme la mort, le petit gars timide tire son épingle du jeu. Autrement dit « ça ressemble à De Marco quand c’était bien ».

En se baladant sur le festival, et à voir la tête du premier barman à qui je demande si je peux le payer « en liquide », les anglais (du moins ceux là), n’ont pas vraiment chamboulé leurs habitudes. Pas de cashless, pas de file infinie au bar, pas de vigiles en masse, pas de multinationales agressives ou d’hôtesses qui distribue des goodies en plastique tueur de dauphins. Ici on peut commander des gin tonic (avec des fruits frais coupés dedans), des bouteilles de rosé à 6 livres au bar, un camion vend des clopes et les foodtrucks proposent des grilled cheese à la truffe. Ca a l’air couillon dit comme ça, mais ça fait du bien de se retrouver dans un concert « à l’ancienne », sans avoir l’impression de se balader au Carrefour Market de Williamsburg avec une assemblée de connards. Entre deux concerts, les anglais font des tours de grand 8 et de manèges. Très peu de gens filment les concerts, ce qui achève de me faire réfléchir à venir m’installer à Londres un de ces 4.

Cette ambiance laid back est portée par les concerts. Celui De Tirzah, notamment, dont le dépouillement m’impressionne toujours autant. Backée par Micachu et Coby Sey, la chanteuse, sapée comme pour aller faire sa lessive ferait passer Liam Gallagher pour Philippe Risoli. Tout est joué à la main (les beats y compris sur une MPC) et donne à entendre une musique fragile qui assume ses petits pains et son côté bancal. C’est très émouvant, puissant comme il faut. Je réalise à cet instant que la bass music agit sur les anglais comme le kick sur le public français. Il suffit qu’une sonorité un peu dubby rentre pour que le public se déhanche comme si Goldie avait toujours 20 ans. Impression confirmée par le set de Skee Mask, sous la pluie, ce qui n’empêche en rien une foule de jeunes lads de se trémousser en k-ways sur la drum’n bass racée du producteur.

De dépouillement, il en sera aussi question pendant le set très attendu d’Earl Sweatshirt sur la grande scène. Accompagné seulement par Dj Black Noi$e, l’ancien Odd Future revisite  son récent (et très réussi) Some Rap Songs, et les moments forts de Doris et I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside dont le public raponne (c’est comme chantonne mais avec du rap) les paroles (bel effort, ça mumble quand même sérieusement sur ce disque). Petite larmiche sur le toujours très beau Grief. Son live sans artifice répond au dénuement de celui de Tirzah et on finit par y voir une sorte de musique décroissante dont ne subsiste que la moëlle et l’émotion, une approche d’avant le tout à l’image.

Histoire de me contredire dans mes pensées, le live de Lost Souls of Saturn, nouveau projet de Seth Troxler et Phil Moffa donne à cette fin d’après midi des airs de rave multimédia et politique (c’était bien moins horrible que ça en a l’air). Une techno puissante relevée par des enchaînements de vidéos alternant logos de marques, attaques terroristes et Paris Hilton défoncée. Pas sûr de tout comprendre, mais bon ça marche.

De retour à l’extérieur, il est temps de se rapprocher de la grande scène avec une meute de loups garous en goguette (ils ont des sacs bananes autour du cou, on comprend donc qu’ils ne nous veulent pas de mal) pour voir une des têtes d’affiche du jour: Death Grips. Alors que la température se rafraîchit sérieusement, je me pose la vraie question du jour: vont-ils jouer torses nus comme à leur habitude? Les trois montent sur scène, devant un écran de led rouge vif qui explose la rétine. Avant le début du premier morceau, Lost Boys, Stefan Burnett et Zach Hill tombent le t-shirt. On va rester en territoire connu (ouf). Le groupe a délaissé les concepts foireux et la provocation à deux balles pour se concentrer sur leur musique du futur et leurs concerts fabuleux. C’est finalement ce qu’on leur demandait depuis le début, et Death Grips a désormais à sa portée une pelletée de morceaux incroyables qui en font à la fois un groupe qui ne sonne comme personne d’autre et une des meilleures formations à voir sur scène dans le genre « tiens c’est Charles Manson qui vient faire du dubstep dans Matrix ». Carton forcément, malgré les traits tirés du MC.

En se baladant à l’intérieur, on assiste à la fin pénible du set de Julia Holter, qui malgré sa veste à paillettes n’a toujours pas la classe de Kate Bush (à son grand regret vu comme elle s’égosille devant des anglais qui baillent en se resservant du rosé). Bien heureusement, le concert de Deerhunter remet un peu d’excitation dans le hangar (enfin vous voyez ce que je veux dire). Bradford Cox offre une balance/line check interminable dont il a le secret beuglant « welcome to Ikea » au public impatient. Visiblement pas très à l’aise avec le moyennement emballant Why Hasn’t everything disappeared yet? » sorti cette année, le groupe déroule plutôt ses tubes, toujours aussi beaux mais qui ont perdu un peu de leur côté croche, de leurs larsens et de leur potentiel de malaise. L’âge peut-être? Jolies lunettes cependant Brad.

C’est sûrement aussi ce facteur (l’âge) qui me fait quitter le festival avant la nuit, en voyant de loin les infâmes Jungle (qui sonne toujours comme un set « spécial afrobeat » de Martin Solveig), me rappeler à la dure réalité du monde qui est le nôtre et son exigence de maximalisme. La bizarrerie a ses limites.

j’ai piqué toutes les images sur la page Instagram du festival. Ne me faites pas de procès les gars!

 

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