Photo: Kami
Quand on y pense, il y a beaucoup de groupes qui ressemblent à des anomalies d’un point de vue critique ou industriel. Mais très peu en France. Chocolat Billy en fait partie dans la mesure où la formation bordelaise peut probablement emballer autant des régisseurs en train de régler leurs SMAC à coup de Back In Black que votre pote parisien amateur de harsh noise et de vins nature. Vous pourrez désormais ajouter à ce large éventail d’amateurs de “rock” votre ami.e lettré.e fan de George Pérec et de Philippe Katerine puisque pour ses 20 ans, le groupe s’est offert le plaisir de faire un disque de pop music mélodique avec des “vraies chansons” (c’est eux qui le disent). Le Feu au lac navigue avec une fraîcheur totalement délurée entre des choses très savantes et d’autres totalement naïves, un peu comme si le Facteur Cheval s’attaquait à Pet Sounds après avoir pris un petit quelque chose pour tenir jusqu’au bout de la nuit. C’était l’occasion rêvée pour appeler Jonathan, batteur et membre fondateur de Chocolat Billy afin de causer boutique et philosophie de la vie. Un échange à peu près aussi chaleureux et libératoire que la musique de son groupe.
Qu’est ce qui a provoqué la formation du groupe? Est-ce que vous apparteniez à une scène ou un mouvement à cette époque?
Au moment où on a commencé, il y avait quelque chose de frénétique. C’était mon premier groupe, j’ai rencontré Yann (guitare) dans un bar. Il m’a proposé de jouer de manière très spontanée et on a été dans un local de répétition. On a joué deux ou trois heures sans s’arrêter. On a recruté plein de gens et été sept pendant quelque temps. C’était un gros foutoir, il y avait deux batteurs, une copine, Julia, qui chantait. On a fait quelques concerts comme ça mais c’était compliqué et on a resserré à quatre. La seule idée de base c’était l’improvisation. On n’avait aucune idée préconçue de faire un groupe. Moi j’enregistrais toutes les impros et je passais beaucoup de temps à les réécouter et ça devenait des morceaux comme ça. Avant ça, je n’avais pas de pratique de groupe, j’étais dans la musique de poche, du coin du feu. C’était très confidentiel. Ce qui marchait pour moi c’était la communion collective de l’impro autour de décrochages, de motifs. C’était le plaisir du geste pour le geste. On fantasmait des morceaux qui n’existaient pas et en improvisant, ils finissaient par surgir.
Tu te souviens de votre premier concert?
J’étais fan d’un guitariste qui s’appelle Eugene Chadbourne, on a organisé sa venue au Local Universel à Bordeaux. On avait tout fait avec les moyens du bord, il dormait chez moi. On n’avait pas de première partie. Les autres ne connaissaient pas trop Eugène Chadbourne et je leur avais fait une compilation avec des titres de son groupe qui s’appelait Shockabilly. Quelqu’un a dit “c’est vachement bien sur le disque Chocolat Billy”. C’est comme ça qu’on a nommé le groupe et qu’on a joué notre premier concert. On était sept, on a joué trente minutes. C’était à la fois exaltant et intimidant. Je me souviens surtout du deuxième concert à l’Athénée Libertaire. Il y avait une érotique du concert que je découvrais. Je n’en revenais pas du côté magique de faire des morceaux et les jouer ensuite devant les gens.
Peux-tu me parler de la création de Mon père est ma mère, votre premier album en 2004?
Oui, on a enregistré assez vite dans des contextes différents. Thomas Bonvalet a enregistré deux morceaux, Le Lièvre et Versailles, simplement avec deux sources, à la campagne. On est allé aussi au Pays Basque dans la montagne chez un mec qui avait du matériel.
Est-ce qu’il y avait des disques qui comptaient plus que d’autres à cette époque?
Pas vraiment, on ne parlait pas trop de musique entre nous. On aimait les musiques folkloriques, les musiques du monde. Chacun dans sa tête avait ses références mais on les verbalisait peu.
Un terme qui revient souvent à propos du groupe c’est “arty”, ce qui suppose un aspect cérébral.
J’ai l’impression qu’on peut être spontané et à certains moments y réfléchir. Ce n’est pas contradictoire alors que c’est souvent opposé. On était et on est toujours obsédé par la musique. On laisse les choses arriver sans s’interdire non plus à certains moments d’être dans une démarche plus réfléchie. On ne refuse pas de faire un morceau qui sonnerait “trop pop” par exemple. Aujourd’hui, on échange davantage sur la musique, on s’autorise plus à avoir des références comme Rita Mitsouko ou Einstürzende Neubauten par exemple. “Arty” c’est un peu péjoratif je pense mais je ne le vois pas comme ça. Moi je crois à la capacité de l’art de créer des mondes et les partager avec les autres.
Je parlais avec Thomas Bonvalet qui regrettait le côté démonstratif de la musique noise et expé. Quel est ton sentiment par rapport à ça?
A nos débuts, jouer était très jubilatoire pour nous. On était un peu dans le milieu expé mais en même temps on faisait du rock dynamique, les gens dansaient en concert. On avait le cul entre deux chaises. La scène d’alors était très vivace, bigarrée. On commençait à découvrir l’auto-production, le fait de faire des vinyles tout seul. On rencontrait des gens à Paris dont Jean-François Pichard (programmateur des Instants Chavirés-ndr). Nous on avait rien de conceptuel mais ça nous intéressait. La musique expérimentale, electro acoustique, indus nous plaisait beaucoup.
Vous partagiez ces allers et retours avec un groupe comme Deerhoof qui pouvait jouer dans un concert “rock traditionnel” mais aussi aux Instants Chavirés ou à Sonic Protest…Vous aviez ce côté accessible.
On partageait avec eux ce côté généreux. Je sais que jouer aux Instants était important pour eux, de garder le lien avec cette scène. Après, parfois, tu entends des trucs terribles. Nous on était un peu “le ska festif de la musique expé” (rires). Mais à certains moments, la musique noise et expérimentale a commencé un peu à ronfler, à se formater. Et puis, nous aussi on vieillit. Je suis sûrement moins attiré par l’idée de faire des choses bruyantes. Les énergies changent. Tout est une question de moments.
J’ai l’impression que Jacques et ses diverses compagnes (4e album sorti en 2012) fait un peu une bascule vers quelque chose de plus mélodique et psychédélique?
C’est le premier disque sur lequel on a passé plus de temps. On n’était pas trop d’accord. Certains d’entre nous voulaient que ce soit un double, d’autres pas. C’était un disque assez polémique. On l’a enregistré avec Manuel Duval qui fait Rien Virgule et c’était aussi son premier disque rock. On a rencontré certains écueils.
On sent que vous vous attaquez plus aux morceaux, avec une recherche de maîtrise.
C’est sûr. Dans les premiers disques, on a laissé passer et gardé beaucoup d’accidents sonores qui aujourd’hui me gênent un peu. Le dernier disque qu’on vient de sortir est un peu entre les deux. Il y a un côté très spontané, jammé, il revient aux origines mais en même temps, il y a quelque chose de plus léché, le plaisir du studio.
Le Feu au lac (dernier album sorti il y a quelques mois, donc) dégage quelque chose d’assez sixties je trouve.
C’est la première fois qu’on fait des chansons, qu’on écrit des paroles. C’est un cadeau qu’on s’est fait. On avait envie de rentrer dans d’autres narrations, travailler sur la temporalité. On s’est autorisé le plaisir coquin de la voix même si on n’est pas plus chanteurs que musiciens.
Quel est votre rapport aux paroles, à la poésie que l’on retrouve dans les titres de chansons et d’albums?
C’est un rapport de cadavre exquis. Les paroles viennent de droite à gauche, comme on aborde l’improvisation. Sur le dernier disque, on a écrit des paroles, on a repris un texte de George Pérec que j’avais dans mon sac. Une fois que ça plaît à tout le monde, on ne se pose pas trop de questions sur ce que ça veut dire ou ce que ça représente. Ce n’est pas un critère fondamental, ça fait partie d’un tout.
Comment juges- tu votre parcours avec le recul? Tu te sens bien dans tes baskets de musicien en 2022?
Il y a eu des moments compliqués. On a vécu une séparation avec Mehdi, notre bassiste depuis le début, qui est parti pendant l’enregistrement du dernier album. C’était dur mais ça flottait peut-être depuis un moment. On se dit tout le temps qu’on a de la chance, de jouer, d’être invité à droite à gauche. On a aussi la chance d’avoir encore autant de plaisir. Je suis toujours excité de recevoir un disque, d’aller jouer dans le salon de nos copains à Niort, de boire du Cognac avec eux.
L’épuisement de certains musiciens vient aussi de la quête de la professionnalisation, ou de succès.
C’est difficile d’attendre beaucoup et de ne pas s’épuiser. Nous on est un peu entre deux. On n’est pas pros mais on ne dit pas non aux plans sympas un peu payés. On se rend très disponible pour la musique. On travaille peu ou pas. J’ai été libraire pendant vingt ans, je prenais des vacances pour partir en tournée. Pendant longtemps, on était dans un refus de l’argent et puis avec le temps, le fait d’être invité à jouer dans certains contextes te donne une légitimité (plus que le fait de gagner des sous). La musique est à la fois une bulle mais c’est aussi ce qui nous permet d’exister dans un monde un peu dur. C’est notre rapport au réel mais aussi ce qui nous permet d’en décrocher parfois. Le moment le plus précieux pour moi, c’est celui où on improvise et où quelque chose se passe, où il y a un surgissement. Il y a une ivresse du concert mais c’est ce moment là d’alchimie jubilatoire qui donne un sens à tout.
ADRIEN DURAND
Cette interview est parue initialement dans le numéro 10 du zine Le Gospel.