Beverly Glenn-Copeland, le fabuleux phénix

« Il y a trois challenges dans ma vie. Le premier c’est d’être noir dans une culture blanche. Le second c’est d’être transgenre dans une culture hétéro-normée. Le troisième c’est d’être un artiste dans une culture dominée par le business. »

Glenn-Copeland (Red Bull Music Academy-2017)

 

Ainsi l’intéressé de 76 ans résume sa vie personnelle, culturelle, artistique; trois observations qui ont tracé les sillons d’un destin hors du commun. 

Car avant de se produire au MoMa (2018), au Guess Who (2019), d’être le sujet d’un documentaire (Keyboard Fantasies: The Beverly Glenn-Copeland Story, 2019), de recevoir quelques dizaines d’offres de contrats de maisons de disques et de compter parmi ses adeptes Dev Hynes, Four Tet, Caribou, Courtney Barnett et j’en passe, son œuvre a eu le temps de prendre la poussière dans les bacs des rares disquaires nord-américains qui l’ont distribué. 

Né femme en 1944 à Philadelphie au sein d’une famille middle class religieuse, l’enfance de Beverly Glenn-Copeland est bercée par les chants gospel et classique de sa mère et les gammes, jusqu’à 5h par jour, de son père qui joue Chopin, Mozart et Bach sur le piano familial. Parallèlement, il interroge ses origines Cherokees, ouest africaines et celtiques, s’intéresse aux lieder du XIXe (poèmes allemands chantés d’une voix), à la musique chinoise, indienne et aux percussions. À ce berceau culturel et musical, s’ajoute un processus créatif glané au fil de ses expériences, vécues avec un investissement personnel hors norme.

En 1961, Beverly Glenn-Copeland quitte les États-Unis dont il ne partage pas les valeurs morales et intègre un programme de chant classique à l’Université McGill à Montréal, dont il devient l’un des premiers étudiants noirs. La place qu’il veut donner à la musique se confirme pendant cette période-là avec son premier album éponyme (1970) où fusionnent jazz et folk. Disque aventureux dans lequel se bousculent les références à Alice Coltrane, Joni Mitchell ou Tim Buckley, Beverly Copeland renferme onze titres dont l’interprétation viscérale met en lumière un songwriting aiguisé dans un registre de chansons d’amour. Mais, ni folk, ni jazz, ce disque n’a pas su trouver son public. 

 

Parallèlement, la télévision lui ouvre ses portes : il compose et écrit pour Sesame Street et joue pendant 25 ans dans l’émission pour enfants Mr DressUp, programme phare des matins canadiens. Au gré de ces années, Glenn-Copeland poursuit une quête spirituelle à travers le bouddhisme et la philosophie qui nourrit les grandes lignes de sa musique. 

En 1995, il démarre sa transition et s’identifie publiquement en tant qu’homme en 2002, confirmant la certitude qui l’habite depuis sa toute jeune enfance. C’est en ayant trouvé le langage qui lui correspond que Glenn-Copeland change de registre dans ses chansons : l’amour laissant place à la contemplation de la nature, à la recherche de nouvelles histoires et textures.

Toutes ces années, Glenn-Copeland vit entre l’Ontario et le Nouveau Brunswick, au Canada, régions d’espaces infinis, où il laisse son environnement infuser son art. L’auteur-compositeur puise dans ses ressources: son habileté à construire un scénario et la découverte de l’étendu des possibles que proposent les machines dont il dispose sont des points fondamentaux pour les quatre autres albums et EPs qu’il sort dans la foulée, autoproduits ou via le label de CBC Radio Canada. L’année 2015 marque un tournant : Beverly Glenn-Copeland rejoint le club select des artistes révélés grâce à une obsession pour les disques singuliers. Ici, celle du collectionneur japonais Ryota Masuko qui tombe sur l’une des 200 cassettes autoproduites de Keyboard Fantasies (1986) et se met en tête de découvrir son créateur mais aussi son public.

 

Œuvre centrale fascinante, pensée et créée au milieu d’une forêt avec un DX7, une boite à rythme et un vieil Atari pour bidouiller le tout, ce troisième album situé au point de rencontre de l’électro et de la new age, visionnaire, pastoral et nourri de sagesse, révèle au passage cette vie hors des clous. Beverly Glenn-Copeland a mis dans Keyboard Fantasies (son titre ne peut pas être plus précis) toute sa fascination pour la musique électronique et l’étendue des possibilités qui en découlent, l’observation de la nature qui l’entoure (« Ever New ») et cette quête de sonorités qui s’en rapprochent le plus (« Old Melody »). Tourné vers la méditation, le lâcher prise (« Sunset Village ») comme mantra, chaque touche, harmonie et vibrato de cet album est pensé pour rendre hommage à son environnement. Aussi sensible que puissant et intemporel, Keyboard Fantasies parle pour lui-même et pour ce destin hors du commun : de l’émotion éminemment perceptible qui sort de sa voix aux gammes obsédantes de ses claviers, Glenn-Copeland façonne un paysage avant-gardiste dans lequel on veut rentrer et surtout rester.

 

Depuis, le mot se passe, la rumeur gonfle au gré de ses concerts donnés dans l’intimité des salles nord-américaines et sa réputation grandit lorsque les labels Light in the Attic et Séance Centre s’attaquent à des rééditions. Comme si le destin n’en n’était pas à son premier coup de malice dans l’histoire de Glenn-Copeland, ses tournées européenne et australiennes seront donc reportées pour cause de pandémie mondiale. Mais le 25 septembre , Beverly Glenn Copeland sort via Transgressive Records, l’album Transmissions, rétrospective de 50 ans d’une carrière façon conquête de l’espace. « Tout est une question de temps », synthétise-t-il, pas pressé. 

MORGANE DE CAPELE

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