Cet article est le huitième de notre série « Insomnia » qui revisite de manière totalement subjective des films regardés de manière obsessionnelle, encore et encore, par nos contributeur.ice.s.
Avec son flegme à la Serge Gainsbourg, mon super parrain m’enregistrait tous les trucs sympa sur Canal + en 1990 (Creepshow 2 et Invasion Los Angeles) mais sur ce coup-là, il m’avait dit : « ah non mon gars, là, c’est trop de femme enceinte, trop de plasma dans l’ambulance, là c’est non! » Du coup, tout penaud, je me suis trouvé le film dans un Prisunic trois ans plus tard…
Apparté : Le Tueur De La Forêt chez Baze, Bad Taste chez Auchan, Le Château De L’Horreur au Brio de Guillestre et bien sûr Frissons d’Horreur au Carrefour de La Valentine.. cette magie des grandes enseignes de jadis enterre complètement Cinema Paradiso, selon moi. Il faudrait que j’en fasse un remake sérieux… idée à travailler…
Quoiqu’il en soit, sous l’apparence d’un film d’horreur où il faut donner des coups de couteau dans le ventre, des coups de ciseaux dans l’épaule, désolidariser de grosses têtes de cous épais et gras ou juste broyer des crânes mous et bruyants à coup de bonbonnes d’oxygène pour obtenir le droit de passer à l’étape d’après, Baby Blood est en fait un formidable drame intimiste sur la nature tératologique et profanatrice de la vie même.
Une jeune dame rate calmement sa vie sous la tutelle d’un employeur/amant/directeur de cirque/butor stupide et violent jusqu’à ce qu’une étonnante manigance de la biologie fasse d’elle une femme enceinte! Toutes les femmes enceintes sont un peu hors du commun, mais elle l’est d’autant plus que la bestiole qui s’est mise en tête de grandir à l’intérieur de son ventre lui parle directement, pour lui demander notamment : de la conversation, de l’attention, et bien sûr, quelques hectolitres de sang humain pour se nourrir (plein de trucs ont marché comme ça depuis l’aube de l’humanité).
Toute à ce que j’appelle « le syndrome du plus beau bébé du monde » (aucun bébé n’est vraiment « le plus beau du monde », tous sont remplaçables à l’échelle de la planète, moi j’dis, mais un individu se doit d’honorer son « bébé » comme si il était vraiment le plus beau du monde, même si le bébé n’est qu’une théorie conspirationniste ou un goût pour le PSG), la dame quitte donc le cirque de sa vie dans l’intérêt de l’enfant. TOUS les Français que cette jeune maman rencontre lui obéissent et se font très rapidement plier pour être goulument séchés comme une poche de Capri-Sun.
On me dira bien sûr que le mode d’insémination d’Emmanuelle Escourrou procède un peu du n’importe quoi cinématographique (une chose mystérieuse en provenance d’Afrique s’introduit dans sa roulotte.. bof.. ça va, non ?) mais, comme très souvent dans les vrais bons films, la figure métaphorique n’est qu’une fine burqa sur le solide volume de la réalité et, de toute façon, j’ai toujours trouvé toutes les inséminations un peu surprenantes, quelque part…
A l’époque de mes 15 ans, je ne sais pas ce qui d’Emmanuelle Escourrou me rivetait le mieux au film : sa dentition mystérieuse (on dirait qu’elle est toujours en train de s’arrêter de sourire), sa plastique qui dit « pas de problème » ( = « problèmes ») ou juste son personnage, dans le film… Une grande dame globalement désirable laisse une traînée de citoyens exsangues derrière elle au nom d’un « projet de vie » indésirable.
Aujourd’hui, Baby Blood est un film que je trouve sublime, non seulement pour les raisons que je viens d’énoncer, mais en plus parce qu’il est français. Je veux dire par là que c’est vraiment d’un point de vue français caractéristique que le film place la grossesse dans un immense terrain vague entre l’entrepreneuriat prédateur américain et le « projet de société » plus méditerranéen (le cirque, le dirigisme parallèle, le gros sein mou des allocations familiales, le chômage, la misère). Et j’aimerais vraiment que le Nouvel Ordre Mondial, si il existe et si il sert à quelque chose, somme chaque nation de la planète de diriger son propre « remake » de Baby Blood, juste pour voir.
En attendant, je n’ai pas eu l’occasion de voir les autres films d’Alain Robak (à part Corridor, un court-métrage précédant ce film) mais je sais qu’une suite a été réalisée en 2008. Un film d’horreur et ses suites, la vie, quoi….
JONN TOAD (texte et montages photos)