Pop Crimes : l’insoutenable légèreté d’un groupe rock en 2024

 

La première fois que j’ai vu Romain Meaulard, chanteur-guitariste de Pop Crimes, il portait une espèce de grosse valise en cuir marron, très jolie mais visiblement importable dans une main et un volume du Dune de Frank Herbert dans l’autre. Autour de nous, les invité.es débarquaient pour un week-end de fête chez une amie commune, avec des valises à roulettes et des sacs à dos. Et probablement sans livre.  Cette image d’iconoclaste perdu dans le temps contemporain, je ne peux pas m’empêcher de la garder en tête quand je pense à la musique de son groupe, Pop Crimes.

Bien heureusement, il existe toujours de multiples façons d’aborder un disque de rock à guitares en 2024. On peut y chercher les références pour jouer au plus malin, tenter de démontrer une culture du « bon » goût qui n’a plus beaucoup  de sens à l’heure de Wikipedia et Spotify. On peut y chercher une forme de réconfort immobiliste en se biberonnant de références rassurantes nous renvoyant à une forme de passé rêvé. On peut aussi s’y abandonner simplement quand il dégage assez de sincérité et d’humanité foireuse pour nous reconnecter à l’essence même du DonQuichottisme rock.

C’est cette dernière option qui s’est imposée à moi quand j’ai vu le groupe  en concert dans le petit sous-sol de l’International il y a un peu plus d’un an. Pop Crimes dégage ce truc inexplicable qui fait que la réunion de quatre individus peut devenir un groupe de rock plutôt que simplement un énième ersatz de ce qu’on a aimé remplie d’aspartame. Il y a une doublette de morceaux en particulier sur le premier album de Pop Crimes qui renvoie extrêmement bien à ce qu’est le groupe en live, No More Cryin’ et My Friends. S’y dégage ce désespoir fier et éthylique qui étrangement donne le sourire aux lèvres, celui qui m’évoque (dans les sensations, plutôt que le son), Nebraska de Bruce Springsteen ou la compilation des Minutemen que j’adore. Pop Crimes est un groupe cultivé, sans aucun doute, et si vous choisissez l’option savante, vous trouverez sans peine des références pointues au college rock 80’s, à Sarah Records ou aux groupes Paisley Underground. C’est d’ailleurs à cette scène en particulier que Pop Crimes se raccroche le plus dans mon esprit, aussi déconnecté et sincère que ces Californiens des années 1980 qui tentaient à contre-courant du punk et de la new wave de l’époque de réveiller les fantômes des glorieuses 60’s/70’s psychédéliques.

Piqué à un morceau du héros des ténèbres Roland S. Howard, le nom même du groupe renvoie finalement à cette idée de transgression que fut pendant longtemps le fait de jouer pour la jeunesse une musique venue du passé. Mais le premier album du groupe n’est pas seulement (et bien heureusement) un trou dans le temps. Il respire le même funambulisme fier qu’un autre grand disque français récent, celui de Music On Hold. On sent que ces chansons pop ne sont pas anodines ou calculées mais sentent le soufre des questions de vie ou de mort. Elles sont en apparence légères et déchirantes dans la profondeur. Et possèdent une qualité de plus en plus rare : elles cicatrisent autant les plaies de ceux qui les écrivent que de ceux qui les écoutent.

 

 

 

 

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