We Hate You Please Die: guerre et paix

Loelia Duboc

Il y a sept mois, j’ai accepté d’interviewer le groupe français We Hate You Please Die pour un article sur le site du Gospel. Ça faisait un bail que je ne m’étais pas prêté à l’exercice et comme j’étais un peu rouillé, j’ai commencé notre échange par une question peu bêta: est-ce que ça sert encore à quelque chose pour elleux de s’exprimer dans une interview au moment où il leur suffit d’ouvrir Internet pour dire ce qu’ils veulent à probablement 100 fois plus de lecteur•ices qu’ici. Continuer de s’intéresser au rock en 2024 donne parfois l’impression de vivre dans un univers distordu, où règne une forme de confort anachronique qui génère parfois une sorte de malaise. Plus que jamais, le rock semble être un truc fabriqué, manufacturé, un souvenir qu’on achète sans trop savoir quoi en foutre et qui finira inévitablement sur une étagère à prendre la poussière. Sauf que dans le cas du groupe qui nous intéresse aujourd’hui, c’est un concert vraiment cool dans un cadre normalisé pour la plupart des gens (plein air, foodtrucks, une frippe, ouais bof) qui m’a arraché un instant de cette impression de spectacularisation permanente de la musique indie aujourd’hui pour me ramener au truc primal qui nous a fait aimer le rock. Trois personnes qui y croient et qui balancent sur scène ce qu’iels ont râclé dans leurs coeurs  (j’en ai même oublié un instant les gens horribles qui bouffent dans des barquettes pendant les concerts que j’aime bien).

 

We Hate You Please Die donc, un groupe que j’avais laissé de côté malgré l’enthousiasme de certains camarades pour cause de chant un peu trop lyrique et pregnant (le saviez-vous et on s’en fout, je déteste le rock anglais et les chants lyriques) avant de me retrouver par hasard devant ce live électrisant d’un désormais trio (le précédent frontman ayant continué sa route de son côté). Qu’est-ce qui a fonctionné chez moi dans la musique de ce groupe là où je frôle clairement l’overdose des groupes de post-punk (peut-être inventera-t-on le terme de post-post punk vu le nombre de tâcherons qui font du mauvais Rendez-Vous en pensant faire du bon The Birthday Party) ? Je crois qu’il s’agit d’un truc assez imperceptible, l’alliance de quelque chose d’honnête et de très intime, qui donne l’impression en écoutant leurs chansons qu’on est inclus dans une bulle de brutalité et de sentiments simples. Ça n’a pas l’air calculé pour un sou et paradoxalement c’est probablement pour ça que ça marche. Sur son troisième album, Chamber Songs (rien à voir avec Brahms), We Hate You Please Die laisse de côté les artifices et les gimmicks. Il n’y a rien de révolutionnaire mais c’est dans sa vitalité et sa spontanéité que le groupe emporte l’adhésion.

« On a commencé à se lancer sans réfléchir et puis on s’est arrêté pour faire un point, recentrer nos influences et réfléchir à là où on voulait aller. On a décidé de laisser de côté le garage fun un peu enfantin candide et d’aller vers quelque chose de plus brutal, noise rock. On n’a pas cherché à capitaliser sur ce qu’on avait fait avant. On voulait faire une musique plus abrasive, moins mélodique. Et se laisser le temps de poser une ambiance. » m’a ainsi expliqué Joseph le guitariste du groupe (l’interview a eu lieu dans le café de la fondation Ricard, rien de très intime pour le coup mais un bon point pour l’expérience dans l’univers distordu). Si j’ai pensé à pas mal de références 90’s (auto-point Godwin) type Touch & Go ou Amphetamine Reptile, le groupe évoque des références de son âge (King Gizzard, Flatworms) et au fond ça n’a pas d’importance car leur album ne m’a pas donné envie d’écouter un autre groupe meilleur du même style, mais simplement d’y rester. C’est déjà un exploit par les temps qui courent.

Chamber Songs, on y revient, joue la carte du décalage visuelle avec une mise en scène dans une chambre aux couleurs douces et lumineuses. Une manière plutôt bien vue de créer un autre canal entre le disque et ses auditeur·ices. Chloé, qui écrit désormais seule les paroles, explique: « Le format de l’album: c’est celui du journal intime. J’écrivais des textes sans savoir ce que j’allais en faire ou si ça allait coller sur la musique, c’est pour ça que parfois je parle ou qu’on scande les textes. » Il y a une simplicité dans la plupart de ces morceaux qui ne sont pourtant jamais simplistes et ça m’a rappelé ce que j’aime dans la musique punk: que le groupe me parle sans faire semblant d’un vécu subjectif, brute, immédiatement compréhensible . La chanteuse précise « Je ne voulais pas faire seulement des textes engagés mais quand tu as la possibilité de prendre la parole et de dire des choses qui te tiennent à coeur, c’est important. Si des gens n’aiment pas ce qu’on dit et se barrent du concert, tant pis pour eux, ça fera du tri. » En ligne de mire, deux morceaux, Control qui évoque le droit à l’avortement et Sorority (bon vous avez compris) qui s’inscrivent dans un empowerment nécessaire sur fond de punk rock mélodique aux accents grunge (le premier qui dit pépite gagne la discographie complète de Feu Chatterton). We Hate You Please Die n’est pas un porte drapeau, seulement un groupe d’aujourd’hui qui réussit à allier une certaine insoumission à un naturel inspirant. Et qui revient à l’essence du bordel : s’offrir comme un terrain d’identification, un refuge, un défouloir,  une chambre à l’abri de la mocheté du monde. Si vous l’avez raté à sa sortie, allez-y les yeux fermés. (PS: comme souvent le meilleur morceau du disque est le dernier, ici Surrender. )

Adrien Durand 

 

Vu la période de l’année, je leur ai demandé de me confier leurs tops 2024. Que voici.

Merci au groupe et désolé Lucie pour le retard!

 

Joseph (guitare) : 

Rank-O – Monument Mouvement 

Naima Bock – Below a Massive Dark Land

Metz – Up On Gravity Hill 

The Smile – Cutouts

 

Mathilde (batterie) : 

Blind Girls -The Weight of Everything

Sorcerer – Devotion

Roman Candle – Discount Fireworks

 

Chloé (basse)  : 

Soft Play – Heavy Jelly

Mannequin Pussy – I Got Heaven

Amyl and the Sniffers – Cartoon Darkness

JPEGMAFIA – I Lay Dow My Life For You

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