Stevie Nicks: la sorcière de Fleetwood Mac

En mars 1977, Fleetwood Mac pose en couverture du magazine Rolling Stone (le média musical le plus important d’alors) sous l’objectif d’Annie Leibovitz. Les musiciens gentiment provocateurs décident en accord avec la photographe de jouer avec les rumeurs “incestueuses” qui courent sur leur formation à la destinée de véritable soap opera du rock US 70’s. Le groupe pose dans un lit, Mick Fleetwood enlaçant Stevie Nicks d’un côté, Lindsey Buckingham serrant Christine McVie de l’autre, dans un inversement de la réalité relativement troublant. Stevie Nicks en cours de divorce d’avec Lindsey Buckingham était alors la maîtresse de Fleetwood, et ce pour les quelques mois suivant la sortie de Rumours, disque le plus fameux de Fleetwood Mac, vendu à 45 millions d’exemplaires à ce jour.

L’enregistrement de cet album a alimenté énormément de fantasmes liés notamment à ces chassés croisés entre les deux couples formant le noyau du groupe et la quantité non négligeable d’argent dépensé et de cocaïne ingérée. Si Rumours a été un succès énorme, le précédent, Fleetwood Mac, le premier qui bénéficie de l’arrivée du couple Nicks/Buckingham et d’un son pop rock beaucoup plus fédérateur, aura lui mis du temps à décoller. A force de tournées incessantes et grâce notamment à la personnalité ultra charismatique et au grain de voix grave de Stevie Nicks, le disque est devenu un succès sur la longueur, distillant une drôle de légende sur la musicienne: elle serait une sorcière.

Rhiannon (4ème piste de Fleetwood Mac) est inspirée par un livre que découvre la chanteuse dans un aéroport, Triad: A novel of the supernatural de Mary Leader qui raconte comment une femme du nom de Rhiannon en possède une autre, Branwen. Rhiannon est une divinité féminine dans la mythologie celtique: une reine maudite qui subit l’exil et une vie de pauvreté, enchaînée par un sortilège à une fontaine enchantée. La chanteuse de Fleetwood Mac ne se penchera sur le sens mythologique de ces légendes (absent du livre qui l’inspire) que bien plus tard, envisageant même un moment de faire de cette histoire un opéra ou un conte musical. Quoiqu’il en soit, Nicks qui adopte un look de plus en plus sombre et ésotérique est rapidement cataloguée comme sorcière, notamment par l’Amérique bien pensante des années 70 qui goûte peu ce genre de références et cherche des traces du diable dans tous les détails (disques des Beatles, Kiss ou Led Zeppelin, concerts de rock, cheveux longs, émancipation sexuelle, pilule contraceptive etc…). Après le succès monstre de Rumours, Nicks commence à être harcelée de messages anonymes et de menaces: “Sale sorcière, tu dois mourir!”. Elle raconte au L.A. Times avoir été effarée de ces messages “Je portais juste du noir parce que ça m’amincissait!”. Poussée à bout, elle abandonne peu à peu ce look hérité de sa passion pour Halloween et les déguisements de son enfance pour plus de couleurs, espérant un temps se faire oublier de ses détracteurs.

 

Au début des années 1980, période plus propice visiblement aux excentricités mystiques que l’on ne le pense, Stevie Nicks apparaît sur la pochette de son deuxième album, Wild Heart , dans une tenue qui évoque clairement la sorcellerie. C’est un disque d’émancipation, musicale et donc sociale, qui rencontre un succès important grâce à des morceaux de synth rock FM efficaces où surnagent la voix de la chanteuse de Fleetwood Mac, en lutte avec une dépendance persistante à la cocaïne. Elle aura beau insister autant que possible et marteler “Je ne suis pas une sorcière!”, le mal est fait dans la tête du grand public. A cette époque, un lycéen en Alabama est recalé par son école religieuse pour avoir tenté de chanter au bac Landslide (magnifique ballade tirée de Fleetwood Mac) au prétexte que “Stevie Nicks est un suppôt de Satan”.

Évidemment, plus Nicks nie au cours du temps un quelconque rapport avec la sorcellerie plus les théories conspirationnistes pleuvent, renforcées par le climat souvent mystique et l’esthétique gothique, parfois médiévale de la chanteuse, que l’on peut soupçonner d’alimenter avec malice la machine à fantasmes. Difficile cependant de ne pas penser que Stevie Nicks, chanteuse et artiste libre, songwriter émancipée de son (ex) mari de musicien a volontairement été rattachée à cette figure populaire dans une condamnation symbolique de cette vie hors du joug patriarcal. Comme le rappelle Mona Chollet dans son essai Sorcières: la puissance invaincue des femmes, Matilda Joslyn Gage fut la première féministe à exhumer la figure de la sorcière tout en militant pour le droit de vote des femmes. Au delà du folklore du Wiccanisme ou paganisme, la sorcière reste cette femme que les bigots et conservateurs cherchent à faire taire et brûler (du moins symboliquement).

En 2014, Stevie Nicks fait une apparition dans la série American Horror Story: The Coven de Ryan Murphy, qui met en scène un clan de sorcières à l’époque contemporaine. La chanteuse y fait la rencontre d’une des sorcières du clan, Misty Day, fan fictive et sosie quasi parfait du look Fleetwood Mac fin 70’s. Elle y rejoue notamment Rhiannon au piano, le morceau par lequel ces rumeurs ésotériques sont arrivées, devant une Jessica Lange en semi transe. Défaite de Stevie Nicks devant une entreprise de nostalgie grand public ou message méta et provocateur glissé dans un divertissement de masse à l’adresse de tous ceux qui jugent que les femmes ne peuvent pas vivre (ou vieillir) libres de leurs destins? Il y a probablement des deux, teintée quoiqu’il en soit d’une forme de victoire de la chanteuse qui aura échappé toute sa vie au bûcher, réel ou symbolique.

ADRIEN DURAND

Cet article est tiré du zine papier #6 Le Gospel consacré aux gourous, chamans et sorcières.

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