La pire nuit #4: Dead For A Minute « hurler à gorge déployée au bout de trois quart-d’heure et supplier mes amis de me sortir de cet enfer »

En cette drôle de période, où on ne peut ni sortir, ni voyager et encore moins partir en tournée, j’ai proposé à des groupes que j’aime de me raconter « leur pire nuit, le pire endroit où ils aient dormi en tournée, dans un esprit ‘Trip advisor de l’enfer’ ». Je n’imaginais pas ouvrir la boîte de Pandore.

 Quatrième épisode avec un souvenir de tournée envoyé par Florian Schall, chanteur (notamment) de Dead For A Minute, groupe cador dans le genre emo violence, hardcore compliqué et sincère. Le dernier disque sorti s’écoute (et s’achète) ici.

Avril 2002, seconde tournée de Dead For A Minute. La riche idée de partir avec Hot Scone (monstrueux chaos jazz nancéien avec Jean-Ed’ de la revue Hermaphrodite et les frangins Roustang) et Thierry Tomassin (Acide Folik et Spiruline), à 9 dans un camion loué au Luxembourg. 10 dates en France, après n’avoir joué que dans notre région Est et à l’étranger, ça nous faisait étrange. Mais on est quand même parti, hein. On est bien rentré aussi, après avoir passé notre première nuit de rockstar dans un F1 miteux (suite à notre concert parisien au Squat de Le 13 avec Segue) ou avoir été au bord du split plusieurs fois pour d’excellentes raisons (la gueule de bois de Geo à Dijon ou le goût des chips sur chaque aire d’autoroute).

Mais je crois que c’est notre date nantaise qui nous a tous marqué à vie. PP, notre batteur, était en contact avec un mec du nom de Séb. Il nous avait arrangé un concert avec deux groupes locaux dans un rade quelconque, mais on avait pas plus d’infos que ça. Soit, on venait de faire la fête à Cherbourg chez les frangins Etasse, on avait dormi dans leur chambre froide et on avait vu la mer, bref rien ne nous préparait à vivre ça. Le chemin qui nous emmenait dans une ZAC anonyme aurait dû, c’est le cas de le dire, nous mettre sur la voie.

« Ok, donc on ne joue pas au centre-ville… C’est chelou, nan ? » Oui, c’est chelou. On arrive devant le Petit Grill St Luce en fin d’après-midi. C’est un restaurant pour routiers. Rien contre les routiers et les restaurants qui les nourrissent. J’avais déjà joué dans une gare, j’allais quelques années plus tard jouer dans un poulailler, bref j’étais pas trop regardant sur le bâtiment qui nous accueillait. L’état d’esprit du patron, en revanche, c’était déjà autre chose. Un ancien légionnaire, la quarantaine mal vécue, le bon mot raciste ou homophobe en bandoulière. On a le malheur de toucher au flipper, on se fait insulter. Ok, bon. On va s’installer… On joue en plein milieu du restaurant, sur une petite plateforme en bois. Pourquoi pas. Y’a un type que les organisateurs ont appelé en renfort pour sonoriser le concert, enfin plutôt pour brancher un micro chant sur une minuscule table de mixage (allez, deux pistes à tout péter).

L’heure du repas arrive. Bien entendu, malgré avoir précisé à Séb qu’on était en majorité végétariens, le patron nous sert à chacun un bon gros morceau de viande.

« Ben quoi, vous mangez pas de viande ? Ici on bouffe de la viande, on n’est pas chez les PD ! ».

Ok, bon… 

« Et sinon, Séb, tu crois qu’il y aura un peu de monde ? »

– Ouais ouais, on a fait des flyers, ça devrait le faire ! »

Lorsque Elysium démarre, il n’y a qu’une quinzaine de personnes. Leur grind moderne déboîte, leur batteur est un furieux et Herbert (Eat Shit Experience, Raxinasky, Supérieur) fait montre d’une présence bestiale. 5 personnes plus tard, Cathode emmanche. Sous-Judoboy mangeant à tous les râteliers suédois, le groupe est emmené par un insupportable chanteur fashionista (slim et ceinture à clous, tish des Swing Kids, grosse mèche dégueulasse) qui passera ensuite la soirée à se recoiffer (avec son mignon petit couteau-peigne). Je le recroiserai quelques mois plus tard au festival de Luzy, absolument méconnaissable dans son dernier déguisement de crusty propre.

Je ne me souviens honnêtement plus de nos concerts respectifs, si ce n’est qu’Hot Scone c’était toujours mortel comme d’hab’ et que je finissais le concert par terre à ne plus pouvoir respirer.

Donc bon, voilà. Le plus dur étant derrière nous, comment se passe une soirée dans la périphérie nantaise dans un restaurant pour routiers ? A Elysium et Cathode : « Bon les gars, ça vous dit qu’on aille se boire un verre en ville ? »

– Oh non ça va merci les gars, c’était cool de vous avoir rencontré mais

on va se rentrer ! » A Sébastien : « Bon, ça se passe comment pour la thune, au fait ? T’es

chaud d’aller boire des coups en ville ? » – Bah en fait je peux rien vous filer, on n’a pas fait assez d’entrées et je dois payer le type à la sono.

– Ah… Ok, bon c’est vrai qu’on n’était pas nombreux… Bon ok pas grave, on va boire un coup chez toi alors !

– Ben non, en fait moi je vais rentrer…

– Ok… Mais on dort chez qui, en fait ?

– Ben, chez personne.

– Comment ça ?

– Ben je savais pas qu’il fallait vous prévoir un hébergement…

– PP, tu lui as pas dit qu’on avait besoin d’un hébergement ?

– Bah si !

– Bon, Sébastien…

– Nan, je suis désolé…

– Bon les mecs, on fait quoi ? »

On jouait le lendemain aux Tanneries de Dijon. 5 heures de route, à l’aise à l’aise. Plutôt que de péter un scandale au pauvre Sébastien (qui n’avait pas trop l’air de savoir ce qu’il faisait et devait sincèrement penser qu’on était super contents de ne pas au moins avoir 30 balles pour mettre un peu d’essence dans le camion), on se mit donc en tête de couper le trajet en deux et de nuit, histoire d’atterrir quelques heures plus tard sur une aire d’autoroute en région parisienne. Ainsi, c’est cette nuit-là que je fis enfin la véritable expérience de la vie en communauté, celle qui te forge un caractère en acier trempé et t’encourage à continuer parce que demain sera meilleur : dormir à 9 dans un camion mijotant dans un bain de pets chauds et de ronflements inhumains, les nerfs ne comprenant plus quelle position trouver pour se détendre, hurlant à gorge déployée au bout de trois quart-d’heure et suppliant mes amis de me sortir de cet enfer. Bon, j’exagère. C’était pas si terrible à vivre. Mais c’était pénible.

On est arrivé aux Tanneries aux alentours de 9h du matin. Le lieu étant fort heureusement ouvert, on s’est jeté comme des cannibales sur le premier canapé venu. De mémoire de chanteur de groupes n’ayant jamais connu le succès, c’est peut-être la meilleure sieste que j’ai pu faire en squat de toute ma vie. En plus, il faisait bon et beau pour un vendredi d’avril.

Typiquement le genre de chose que tu aimerais vivre à nouveau, surtout en ce moment.

Flo

PS: 

Aussi, je viens de retrouver le lien vers la chronique du concert faite par les organisateurs eux-mêmes C’est marrant, on ne se souvient pas trop de la même chose 🙂

http://deathnroll.over-blog.com/article-1463241.html

 

 

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